À fleur de réel
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PERSONNE PAR ANTOINE ÉMAZ,
PRÉFACE DE LUC DEGROOTE, 64 P., UNES, 16 €
Il y a chez lui une froideur ardente, un détachement lucide, une façon à la fois généreuse et tragique de persévérer au plus près de l’ombre et du silence. « Un poème, c’est toujours de la langue sur une émotion qui rend muet », résume-t-il dans ses carnets. Tout l’art poétique d’Antoine Émaz se loge dans ce paradoxe. Dans la pesée des mots et des blancs – résister dans l’inévitable voile de langage qui recouvre les choses, et, intransigeant et toujours humble, se maintenir au
frôlement rugueux de ce qui est. Refuser le « je » lyrique
(« et tous à l’intérieur d’aboyer/ moi moi moi /bêtes dans leur peur d’être / oubliés » ) et lui préférer la neutralité impersonnelle d’un « on » pudique et poreux où « rien n’appartient ». Polir aussi le relief sonore, par des contractions du dedans et du dehors, aiguiser ce « paysage de poche » que devient la page. Composés pour la plupart à la fin de la vie d’Émaz, les textes réunis dans
Personne* racontent une plage, un linceul, les frémissements d’un acacia. Brefs et syncopés, ils résultent d’un infatigable travail de décapage d’où la langue, devenue énergie corporelle, ressort resserrée et élimée, comme électrifiée. « Il y a les vagues /et ce qui reste là /le ciel le sable /ce qui bouge n’avance pas /plutôt tremble ou tourne /vibre vaste remue /pour au bout rester là aussi /on est seul à passer/vraiment/seul à traverser/couper dans l’espace/ sauf peut- être le vent. » Avec le soupçon et l’incertitude de soi comme outils de précision, le poète minimaliste avance courageusement, à portée du vide, taillant d’intenses bribes de presquerien dans lesquelles tant s’éclaire. * À noter aussi la réédition en poche de
Caisse claire. Poèmes 1990-1997, anthologie établie par François-Marie Deyrolle (Points).