Les Champs populaires
Signe un superbe essai entre histoire et sociologie sur la plus belle avenue du monde, mettant en lumière ses fastes et sa misère.
Ludivine Bantigny
HHHHI
« LA PLUS BELLE AVENUE DU MONDE ». UNE HISTOIRE SOCIALE ET POLITIQUE DES CHAMPS-ÉLYSÉES PAR LUDIVINE BANTIGNY, 288 P., LA DÉCOUVERTE, 21 €
Apriori, l’histoire des ChampsÉlysées est courte : « deux kilomètres de longueur pour une largeur de soixante-dix mètres » ! Ludivine Bantigny en exprime pourtant toute la richesse dans son dernier essai. La première partie de l’ouvrage est historique et s’appuie sur des sources artistiques, judiciaires et littéraires. Cette voie au nom de paradis grec est vite devenue un espace social où les tensions s’exacerbent, notamment lors de la Révolution française. L’avenue mythique est aussi le lieu de l’unité nationale : on y célèbre le 14-Juillet, de Gaulle y défile après la Libération, les champions de la Coupe du monde 98 s’y métamorphosent en symbole d’une France triomphante « Black- Blanc- Beur » . Dans la seconde partie de « La Plus Belle Avenue du monde » , Ludivine Bantigny mène une enquête sociologique profondément humaine.
Un lieu symbolique et politique
Sur le trottoir à l’ombre s’alignent les marques de luxe, les sièges des grandes banques et les hôtels dont les salariés vivent dans l’angoisse d’être accusés de vol par leurs riches clients. Sur le trottoir ensoleillé, les enseignes populaires font travailler leur personnel comme des bagnards. On se croirait dans un Zola. Dans la rue, la jeunesse dorée et la jeunesse désoeuvrée battent le même pavé sans se rencontrer. Prisonniers de leurs univers parallèles, Salim, le garçon des banlieues et Alma, la fille d’avocats, ne seront jamais amis.
Pour l’historienne enquêtrice, r i e n d’étonnant à ce que les Gilets jaunes aient choisi les Champs
Élysées comme lieu de rassemblement.
La beauté des façades haussmanniennes dissimule à merveille toute la laideur de ses structures sociales. Briser ses vitrines et brûler ses cafés revient à s’attaquer au « double symbole […] du pouvoir et de la richesse », comme l’a compris l’ancien préfet de police de Paris, Michel Delpuech. Dans son excellent essai, Ludivine Bantigny démontre à quel point « l’espace est politique », les Champs-Élysées plus que tout autre.
La Fabrique de la gloire ? Comment s’effectue le tri entre héros et réprouvés ? Peut-on passer d’un statut à l’autre ? Pourquoi Clemenceau, « premier flic de France » pour la gauche, s’est- il métamorphosé en « Père la Victoire » ? Comment la thèse de l’affrontement a-t-elle fini par succéder à la légende « Pétain-bouclier-de-Gaulle » ? À travers quinze portraits croisés (Antoine-Octave, Clovis-Vercingétorix, Richelieu- Mazarin, Lénine- Staline, Bolívar- San Martín, etc.), Laurent Avezou approfondit une réflexion historiographique de haute voltige entamée en 2008 avec Raconter la France. Histoire d’une histoire.