De l’ombre à la lumière
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LA FABRIQUE DE LA GLOIRE. HÉROS ET MAUDITS DE L’HISTOIRE PAR LAURENT AVEZOU,
366 P., PUF, 21 €
Qui se souvient de Louis XII ( 1498- 1515) ? Ce roi au bilan médiocre a rejoint les poubelles de l’Histoire. On le gratifie au plus d’une réduction d’impôts qui lui valut, de son vivant et jusqu’au romantisme, le surnom de « Père du peuple ». À l’inverse, Louis XI ( 1461- 1483) a longtemps été victime de sa légende noire : un être difforme et dissimulateur, enfermant ses adversaires dans des cages de fer. Aujourd’hui, tous s’accordent sur l’oeuvre de ce roi centralisateur, en butte à la haute noblesse, en particulier au duc de Bourgogne Charles le Téméraire. Soucieux de mailler le territoire avec un réseau dense de routes et de postes royales, le souverain n’eut de cesse d’accroître la prospérité du royaume. Ces deux destins sont marqués par « une inversion des signes », souligne Laurent Avezou : « Le positif Père du peuple est devenu ce roi de grisaille qu’on ne voit plus, tandis que [Louis XI s’est mué] en annonciateur de l’État moderne. » Comment s’explique ce chassé-croisé mémoriel ? Quels sont les ressorts de
uoi de plus utile que le cerveau ? Il nous permet de nous orienter dans l’espace, de réagir à une émotion ou à une menace, de lire et d’écrire, d’apprécier la musique, de reconnaître les visages et de comprendre leurs expressions. Quoi de plus complexe, aussi ? Il a fallu de multiples théories et des cohortes de patients pour progresser en neurologie. Paolo Bartolomeo, médecin et expert à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, à Paris, a tenté, dans son livre Penser droit, de débrouiller les mystères de cet organe qui se niche sous notre crâne.
QDes hémisphères pas si différents
Longtemps on a cru que le cerveau gauche était le siège de l’analyse, du calcul, de la logique. Tandis que le cerveau droit abritait l’imagination, la fantaisie, le goût de l’art et l’attrait pour la spiritualité. En réalité, écrit Bartolomeo, les choses sont autrement plus compliquées. Les deux
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LE ROYAUME ET LE JARDIN (IL REGNO E IL GIARDINO) PAR GIORGIO AGAMBEN, TRADUIT DE L’ITALIEN PAR JOËL GAYRAUD, 160 P., RIVAGES, 17 €
Le nouvel essai de Giorgio Agamben partait d’un bon pied. Érudit comme une thèse sur les chevaliers du lac de Paladru en l’an mille, le livre réussissait malgré tout à séduire. Son leitmotiv : l’interprétation du jardin d’Éden, au début de la Bible, a des conséquences politiques pour notre présent. Le Royaume et le Jardin montre comment la théologie chrétienne a bridé notre imagination en fermant la porte du paradis. Rappel des faits : depuis qu’Adam a croqué la pomme, la vie n’est pas une sinécure. Virée du verger, l’humanité est livrée à la souffrance et à la mort. Selon Agamben, la tactique de l’Église fut de renvoyer le jardin à un passé révolu pour anesthésier sa force révolutionnaire, l’empêcher d’inspirer notre actualité. Ce que nous dit le christianisme depuis Augustin ( siècle), c’est que le monde est ce qu’il est. Accommodez-vous-en, car le salut n’est pas pour demain mais pour l’au- delà. À rebours, la contrehistoire du jardin qu’esquisse Agamben, avec le poète Dante, nous assigne comme tâche « le bonheur en cette vie ». La démonstration est inspirante, même si, comme à son habitude, le philosophe simplifie un tantinet l’histoire.
Mais voilà, la parution de la traduction française du livre a été rattrapée par l’actualité, quelques semaines après la poignée de mains fatidique sur un
e vmarché de Wuhan. Abandonnant la distance érudite, Agamben s’est improvisé spécialiste, non seulement des jardins et des pommes, mais également de la grippe. Le 26 février, deux jours après la décision de confinement de villes italiennes, il a rédigé son ordonnance dans le quotidien de gauche Il Manifesto : l’épidémie du coronavirus est une
« invention ». Telle la Toinette de Molière, il a tâté le pouls du peuple italien et trouvé la cause : « Le biopouvoir, le biopouvoir, vous dis-je. » La vérité des États modernes, c’est leur emprise sur la vie qui justifie des mesures d’exception au nom de la sécurité. Cela fait un moment déjà que les interventions d’Agamben sont remontées comme des coucous suisses. Démonstration avec le coronavirus, grippette utilisée pour militariser notre quotidien, dit-il. Le problème des épidémies, c’est qu’elles sont moins rapides que la sottise : elles commencent toujours
pianissimo. Tout le monde sait cela, sauf le philosophe coupé du monde. Le jour de son crime de lèse-Faculté, il n’y avait « que » 470 cas déclarés en Italie. Pas de quoi fouetter un pangolin. À la posture du sage, le penseur de l’État d’exception a préféré celle du prélat énonçant son magistère.
Un philosophe, ça ose tout
Tout le monde peut se tromper, mais encore faut-il ne pas se tromper deux fois. Avec 2 500 morts, le 17 mars, l’universitaire vénitien a tenu à « clarifier » son propos, pourtant limpide. Si l’épidémie est finalement avérée, il faut élever le problème à des hauteurs morales, là où l’on ne croise aucun médecin mais quelques Pères de l’Église avec qui l’entente du pape du gauchisme est totale : « L’ennemi n’est pas au-dehors, il est en nous », assène Agamben comme s’il prêchait le carême. Les Italiens ont tort de sacrifier leur vie sociale au souci égoïste de ne pas tomber malade. Décidément, un philosophe, ça ose tout, c’est même à cela qu’on le reconnaît. La dialectique, dans sa tête, ça fait ding dong.
Confinés, les Italiens pourront toujours lire Le Royaume et le Jardin pour tuer le temps. L’auteur nous y met en garde au sujet d’Augustin : « Il conviendra d’examiner les arguments à tout le moins fragiles, sinon tendancieux, qui sont les siens. » Au suivant de ces messieurs.