L’édito de Baptiste Liger
Devinette : quelle est la différence entre l’optimiste et le pessimiste ? Le premier dit toujours que « ça ne peut pas être pire » ; le second réplique : « Oh si ! » Ce bon mot – parfois attribué à Guitry, parfois à Cioran – a, entre autres mérites, celui d’illustrer simplement deux philosophies de vie particulièrement mises en lumière lors des crises, quelle que soit leur nature. Mais au fond, sont-elles si opposées ? Ne peuventelles pas se rejoindre ? S’alimenter l’une l’autre ? On peut notamment se le demander en se penchant sur un concept bien précis, auquel nous avons décidé de consacrer notre dossier : l’espoir. La langue française l’a ainsi associé à certaines expressions, le reliant à « une lueur » ou le situant « au bout du tunnel » – s’agirait-il d’une affaire de luminosité ? Il convenait ainsi de s’interroger sur ce mot que l’on utilise souvent comme un placebo, sans comprendre vraiment ce qu’il implique. D’Épicure à Kierkegaard en passant par Descartes ou Kant, l’espoir a ainsi fait plancher bien des philosophes sur sa définition et son application – tout comme les différentes branches de la psychologie et de la psychanalyse. Pourquoi a-t-on besoin de se rattacher à lui ? Qu’est-ce qui le fait naître, le produit (ou le relativise) ?
Outre le flux d’informations – complémentaires ou contradictoires –, la littérature peut être une source d’espoir, dans le sens large du terme. Il y a bien sûr tous les ouvrages apportant la connaissance ou des manuels proposant des moyens d’aller de l’avant, mais il faut aussi compter sur la fiction pour non seulement nous divertir, mais aussi pour nous donner matière à méditer – on notera d’ailleurs, ces dernières semaines, l’appétit très paradoxal des lecteurs à la fois pour des histoires légères et des romans bien plus sombres ( qui aurait cru au sursaut de La Peste d’Albert Camus !), notamment dans le registre « post-apocalyptique ».
En outre, la fermeture des librairies a entraîné un net bond de l’acquisition de liseuses jusqu’alors peu usitées. Cette nouvelle façon de lire – et l’investissement dans l’appareil – n’est-elle qu’un épiphénomène passager ou aura-t-elle des conséquences non seulement sur l’économie du livre papier, mais aussi sur les préférences littéraires des uns et des autres ? D’ailleurs, lit-on la même chose sur un écran et sur un objet imprimé ? Et à quel prix ? Ces questions n’en finiront pas de se poser, dans les prochains mois, notamment du côté des éditeurs. Faut-il attendre une large disponibilité en librairies pour lancer un livre ou pourra-t-on, désormais, se permettre de « lancer » un titre uniquement en format numérique ?
Si cette période aura permis à de nombreux auteurs d’avancer dans leurs manuscrits (on n’ose imaginer l’encombrement des textes dans les maisons d’édition !), les divers « journaux de confinement » des écrivains n’ont pas forcément été bien accueillis par le public. On ne compte plus les critiques acerbes, sur les réseaux sociaux, envers les récents écrits de Leïla Slimani (pour Le Monde) ou de Marie Darrieussecq (dans Le Point), deux auteures alors décrites comme des privilégiées déconnectées de la réalité de la majorité des Français. S’il y a un temps pour le jugement social de l’instant, qu’en sera-t-il lorsque l’on redécouvrira ces lignes, bien plus tard ? Si critiquables soient-elles, ces pages auront, en tout cas, valeur de témoignage sur la réalité subjective des personnes, à un moment donné – celui de la vie au temps du coronavirus.
Retrouver le sourire quelques instants
Peu utilisé il y a encore quelques mois, le mot « coronavirus » se trouvait – attribué à un champion romain de courses de char ! – dans l’album Astérix et la Transitalique, non pas signé Uderzo mais du duo Ferri-Conrad. Sombre ironie de l’Histoire, une crise cardiaque (et non le Covid-19) aura emporté, le 24 mars, le géniteur du plus célèbre Gaulois de la bande dessinée. Il avait 92 ans. Lire a souhaité rendre hommage à celui qui a donné le goût de la lecture à plusieurs générations en proposant, dans ce numéro, un large cahier consacré à son oeuvre – pour l’essentiel tiré d’un numéro hors-série publié en 2004 et ici réactualisé. De quoi, peut-être, retrouver le sourire quelques instants avec le souvenir de ces planches aux airs de potion magique.
Enfin, faute d’actualité éditoriale, nous vous donnons rendez-vous non pas pour notre traditionnelle édition de juin, mais pour celle de juillet-août avec, nous l’espérons, de bonnes nouvelles, d’excellents livres. Et le plaisir de vous retrouver, par Toutatis !