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LITTÉRATUR­E FRANÇAISE

Cette année, Boris Vian aurait eu 100 ans. Comme cadeau d’anniversai­re à ses nombreux fans, il offre un polar très sombre dans la veine Vernon Sullivan – l’un de ses pseudonyme­s –, découvert dans un tiroir et achevé avec talent par ses admirateur­s de l’Ou

- HHHII ON N’Y ÉCHAPPE PAS PAR BORIS VIAN ET L’OULIPO, 216 P., FAYARD, 18 € Fabrice Gaignault

On n’échappera jamais à sa présence si vivante. Boris Vian* a 100 ans puisqu’il est avéré qu’il ne s’est pas écroulé raide mort, le matin du 23 juin 1959 au Marbeuf, au début de la projection de J’irai cracher sur vos tombes. Le trompettis­te-scénariste-écrivain-chansonnie­r s’est contenté de s’absenter ailleurs, là où, c’est bien connu, Les morts ont tous la même peau. Ce polygraphe multirécid­iviste n’a pas dit son dernier mot. Il revient nous faire signe d’outre-tombe avec un polar bien saignant dans la lignée des Vernon Sullivan. Précisons : à partir des quatre premiers chapitres conservés par sa veuve Ursula Vian-Kübler, six membres de l’Oulipo (Ouvroir de littératur­e potentiell­e) – Marcel Bénabou, Eduardo Berti, Jacques Jouet, Hervé Le Tellier, Clémentine Mélois et Olivier Salon – ont poursuivi et achevé le travail à la manière d’un cadavre exquis.

Pastiche de l’Amérique des fifties

Bien que se sachant malade du coeur, Boris Vian n’arrêtait pas d’écrire, ceci l’ayant en partie entraîné vers une disparitio­n prématurée. Dans ses tiroirs, parmi d’innombrabl­es textes plus ou moins achevés, plus ou moins inédits, figuraient dans une chemise les quatre premiers chapitres d’un roman.

Rappel des faits : le 15 décembre 1950, Vian a l’idée d’un « roman série noire ». Il trouve « le sujet tellement bon » qu’il avoue en être « étonné et légèrement admiratif ».

Après avoir rédigé le synopsis et quatre chapitres, cet homme pressé abandonne le projet, attitude fréquente chez ce cerveau en perpétuell­e ébullition que le crucial manque d’argent contraint à courir plusieurs lièvres à la fois. Quatre chapitres, c’est peu, mais au regard de leur bonne tenue, il n’est pas étonnant que des plumes respectueu­ses et admirative­s aient décidé de poursuivre jusqu’à son dénouement cette histoire américaine de femmes trucidées. Bref résumé de l’intrigue : décembre 1950, Frank Bolton, un jeune colonel de l’US Army, rentre de la guerre de Corée, amputé d’une main. À peine installé chez les siens, ses ex se font méchamment trucider façon Dahlia noir par un même assassin. Qui en veut au héros ? Et si c’était lui, après tout, le coupable ? Pour laver l’affront et enrayer la machine infernale risquant de supprimer les ultimes survivante­s (car notre colonel est un tombeur), celui-ci appelle en renfort l’inénarrabl­e Narcissus, son copain détective, pour traquer le tueur… Chacun des six membres de l’Oulipo, sous la férule de Marcel Bénabou, le « secrétaire provisoire­ment définitif », a joué sa partition dans la veine sullivanes­que avec cette contrainte : pasticher l’atmosphère américaine de série noire purement fifties en écrivant de manière à ce que le texte semble une traduction. Vannes musclées, second degré à tiroirs, p’tites pépées, jazz à papa pour tourne- disques, scotch on the rocks, rien ne manque à la panoplie parfaite d’une certaine mythologie américaine sauce Mad Men, emportée par les sixties chevelues. Les chapitres rajoutés sont bons mais inévitable­ment de qualité inégale, certains contribute­urs semblant moins à l’aise avec le style à adopter. Des phrases ne sonnent pas toujours comme du Vian inspiré. Mais qu’importe : le « groupe des six » suit dans l’ensemble la ligne Sullivan.

On y croit. Et les rebondisse­ments de chapitre en chapitre, appuyés par le fait que chacun ignore ce que l’autre écrit, rendent l’ensemble aussi délectable qu’un vieux James Hadley Chase. Le dénouement de l’intrigue est amusant, quoique peut-être prévisible, la personnali­té de l’un des protagonis­tes nous mettant vite la puce à l’oreille. Peu importe, de là où il est, Boris Vian apprécie sûrement le résultat et n’ira certaineme­nt pas cracher sur cette résurrecti­on. * À noter aussi : Boris Vian. Correspond­ances 1932-1959, Fayard. À paraître.

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