POLARS/ POÉSIE
Le détective barcelonais avait disparu avec son créateur, l’immense Manuel Vázquez Montalbán, mort en 2003. L’écrivain Carlos Zanón lui redonne vie le temps d’un livre.
HHHII
PEPE CARVALHO. TOUT
FOUT LE CAMP (CARVALHO. PROBLEMAS DE IDENTIDAD)
PAR CARLOS ZANÓN,
TRADUIT DE L’ESPAGNOL PAR GEORGES TYRAS, 528 P., SEUIL, 22,90 €
Ce pourrait être un comble, dans le genre du polar, que de ressusciter le héros d’un auteur mort et de se l’attribuer. Il s’avère pourtant que ce défi est souvent relevé : San-Antonio et Jim Chee, repris respectivement par Patrice Dard et Anne Hillerman ; Mikael Blomkvist et Lisbeth Salander confiés à David Lagercrantz, etc. C’est à présent au tour de Pepe Carvalho, le détective que nous avons tant aimé sous la plume de Manuel Vázquez Montalbán, l’auteur espagnol de romans policiers le plus célèbre au monde. Comme lui, Carlos Zanón est barcelonais, romancier d’une ville qu’il a dépeinte en désert sans foi ni loi. Les ayants droit de
Montalbán l’ont choisi pour redonner vie à Carvalho, le temps d’un ouvrage. Paru l’an dernier en Espagne, Pepe Carvalho. Tout fout le camp s’inscrit dans la lignée des fictions de Zanón.
Nous voici à l’automne 2017, dans la capitale catalane secouée par le référendum sur l’indépendance. Pepe Carvalho se voit confier deux affaires. Celle du double assassinat d’une fillette et de sa grand-mère d’une part, et celle d’un proxénète devenu tueur de prostituées, d’autre part. Comme chez Montalbán, ces intrigues sont prétexte aux déambulations du bonhomme dans une ville et une époque qu’il cherche à capter. Il narre ses pérégrinations tout en laissant souvent la parole à ceux qu’il croise. Les voix sublimes et tragiques de prostituées rivalisent avec celles des manifestants qui, comme notre héros, ne savent trop où ils vont. Sous la plume de son second père, notre homme en appelle régulièrement à « l’Écrivain » – son créateur. Procédural et expérimental, poétique autant que politique, mélancolique sans être nostalgique : que l’on connaisse Carvalho ou qu’on le découvre, on y trouve son compte.