ESSAIS/DOCUMENTS
L’historien nous le rappelle à juste titre, les connaissances que nous avons de notre Terre sont encore bien incomplètes et la plupart, relativement récentes. Des inconnues qui aiguillonnent cependant depuis toujours le besoin de savoir et de comprendre.
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Alain Corbin
TERRA INCOGNITA. UNE HISTOIRE DE L’IGNORANCE PAR ALAIN CORBIN, 288 P., ALBIN MICHEL, 21,90 € la connaissance au moment de leur publication. La fascination exercée par les pôles, terres hostiles à l’exploration, imprègne par exemple les dernières pages du Frankenstein de Mary Shelley, dont la fin se fond dans la blancheur du cercle polaire arctique. Le troisième chapitre de Bouvard et Pécuchet atteste de la pauvreté du savoir de ses personnages, quand les poèmes de Byron et de Coleridge signalent l’ampleur dramatique de l’éruption du Tambora en 1815, en même temps que leur méconnaissance totale du phénomène. À noter que, pour une fois, tempéraments scientifiques et littéraires trouveront dans un même ouvrage matière à satisfaire leur libido sciendi, les récits de fiction étant appréhendés comme des sources historiques fiables. Dans le corpus des textes présentés, l ’ é l o g e que Bernardin de Saint-Pierre fait de sa propre ignorance a de quoi troubler, tant il détonne avec l’acception péjorative du terme : « Grâce à mon ignorance, je me laisse aller à l’instinct de mon âme […]. Elle me jette plus aisément dans l’infini que la science. » Si Terra Incognita constitue bien un « plaidoyer en faveur d’une histoire de l’ignorance », cette citation de Bernardin de Saint-Pierre interroge sur l’étendue de notre savoir à l’heure où « les connaissances permises sous l’effet croisé de l’informatique, des nanotechnologies, de l’intelligence artificielle, sans parler de la robotique sont telles que cela donne le vertige », où la marche du monde se trouve considérablement ralentie par un virus hier encore inconnu.