PHILIPPE DELERM
Le sens de la formule
e clip est dédié « à toutes les personnes qui, de près ou de loin, ont été touchées par le coronavirus ». La Tendresse. Le tempo imprimé par Paul Vanderhaegen, au tout début de la chanson, est assez lent, avec d’emblée une belle ampleur, et une sorte de sérénité. Il s’accompagne à la guitare, cordes nylon. Aussitôt après lui viennent d’autres filles et d’autres garçons, plus d’une quarantaine au total. Ils sont filmés un peu partout en France – et Riccardo Peruffo à Padoue. C’est cela qui crée tout de suite une émotion particulière : cet éclatement géographique, toutes ces pièces d’un puzzle à visage humain. On lit leur nom quand ils apparaissent sur l’écran, et plus encore le nom de tous ces lieux : Au g è r e s, Rabastens, Charantonnay, Toulon, Auch, Paris. Ils chantent bien, sans esbroufe, graves et souriants. Ils chantent avec ferveur. Ferveur, un mot qui apparaît dans les paroles, de manière assez maladroite. Un peu étrange, en s’adressant à Dieu, de lui reconnaître une immense ferveur. La ferveur est plutôt du côté de ceux qui s’adressent à lui. Car cette chanson n’est pas parfaite et c’est aussi cela qui contribue à son pouvoir ; elle dit un peu plus que ce qu’elle dit, sur les ailes douces de sa sublime mélodie.
LLes lieux où sont filmés les interprètes comptent beaucoup. On sent que ce sont les vrais lieux de leur vraie vie. Il y a du dehors et du dedans, des garages aménagés, des prés, un mur de pierre, des fagots de bois, un bout de ciel au-dessus d’une maison, une baignoire, un salon. Les instruments d’accompagnement jouent aussi tout leur rôle, on passe si joliment de la viole de gambe à la batterie, et Leïla Huissoud chante avec sa brosse à dents. Les micros sont le plus souvent apparents, c’est la vie qui est devenue studio d’enregistrement. Les chanteurs chantent seuls – et juste une fois à deux, avec un beau regard entre eux. Parfois deux images sont juxtaposées, une convergence dans la tonalité partagée du temps et de l’espace. D’autres fois encore, les petits carrés se rassemblent tous sur l’écran, comme une image de kaléidoscope.
Ce qui est beau, c’est que la manière de faire rejoint ici le but. Il y a là tout ce qui nous manque tellement. Un petit bout de tendresse chanté en espagnol, un autre en italien, comme un clin d’oeil à nos voisins frappés aussi. Mais par ailleurs il s’agit bien de la France, du Gers au Tarn, au Calvados, en passant par Paris – en passant par Paris. Un pays que depuis si longtemps on ensilence. Dont on vide les hôpitaux, les écoles, les gares, les bureaux de poste, tout ce qui fait lien.
Une convergence dans la tonalité partagée du temps et de l’espace
Depuis 1961, La Tendresse a eu de nombreux interprètes. Les versions de Marie Laforêt, de Maurane, de Zaz sont belles. Bourvil en reste l’ambassadeur emblématique. Bourvil, qui n’a pas chanté que des chefs-d’oeuvre. Mais on ne s’y trompait pas. Je me souviens de cette une de Paris Match, quand il est mort : « Les Français pleurent Bourvil qui les a tant fait rire ». Il y avait en lui cette chaleur et cette simplicité, cet indéfinissable essentiel qui change tout chez les petits humains. On peut l’appeler la tendresse.