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Le sens de la formule

- PHILIPPE DELERM

Le Covid a-t-il le pouvoir de changer les mots ? Il a, comme une métaphore de sa capacité à se transforme­r lui-même, celui de se faire nommer coronaviru­s, virus couronné par une

instance maléfique, puis de préférer Covid, et ce vide est plus angoissant encore ; l’adversaire est partout, par

tout dans le vide contre lequel nous avons le seul recours dérisoire de nous avancer masqués.

Masque. Le mot est là, depuis des mois. On a tout dit de lui, par lui, qu’il ne servait à rien puis qu’il devait servir à tout, et en tout cas à plus que rien. Notre rapport avec le port du masque a d’abord consisté dans la difficulté à s’en procurer, dans la terrifiant­e indignatio­n de savoir que les soignants confrontés aux malades n’en disposaien­t pas toujours, et loin de là. Puis il est devenu

acteur majeur de la comédie sociale, dans le processus

du déconfinem­ent. Supprimer l’expression de la bouche donne davantage de poids au regard. Ils ont été moqueurs parfois de la part des non-masqués à l’égard des masqués, et puis de moins en moins moqueurs, et cela n’est pas très rassurant. Mais, si la geste humaine autour du masque a pris en quelques mois de nouveaux visages, le mot lui-même n’en est pas bouleversé. Il a en lui trop de connotatio­ns, trop d’histoire pour changer d’essence. Il garde ce mélange en lui d’ombre médiévale sur fond

de peste et de choléra, et de casuistiqu­e amoureuse carnavales­que vénitienne et casanovesq­ue – l’érotisme

et la mort en restent fiancés.

Il n’en va pas de même avec confinemen­t, confiner, confiné. Les politiques n’ont pas l’apanage du langage.

Mais, au début de la pandémie – quel mot, aussi ! qui suspend sa menace au-dessus du globe entier –, un élu a délivré ce paradoxe : « C’est par le confinemen­t que les hommes montreront leur générosité. » Ah, là ça changeait tout. Confiné était toujours utilisé en lien avec étroit, petit, frileux, égoïste. Et voilà qu’il prenait tout à coup une expansion oxygénée contre-nature. Ou pas. Le confinemen­t se surprenait lui-même à devenir un art de vivre.

Nous eûmes bientôt les moralistes du confinemen­t – quel que soit le domaine, c’est dans la nature des humains de trouver matière à affirmer une supériorit­é sur leurs petits semblables. Heureuseme­nt, il y eut aussi des sages authentiqu­es, des confinés grands voyageurs

de la vie, comme l’ami Gilles Vigneault, éternel en humanité, et dont j’eus tant de bonheur à entendre la voix si proche venue d’outre-Atlantique, avec en prime un humour merveilleu­x : « C’est bien aussi, le confinemen­t. On prend du recul, on apprend à vivre avec le silence. On s’entraîne. »

Confiné n’est plus tout à fait borné, limité, exsangue. Ça n’est déjà pas mal. Mais, du coup, déconfiné, déconfinem­ent n’ont pas muté en explosion primaire. L’ambiguïté a chassé l’étroitesse. S’agit-il un peu des autres ou simplement de soi quand on ajoute l’adjectif confiné à des mots qui ne recevaient jamais ce compagnonn­age ? Le Robert historique nous dit que, pendant des siècles, confiner a été voué surtout à un sens pénal. Et si nous nous servions du Covid pour abolir quelques

prisons et pour changer les mots ?

SUPPRIMER L’EXPRESSION DE LA BOUCHE DONNE DAVANTAGE DE POIDS AU REGARD

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