Le sens de la formule
Le Covid a-t-il le pouvoir de changer les mots ? Il a, comme une métaphore de sa capacité à se transformer lui-même, celui de se faire nommer coronavirus, virus couronné par une
instance maléfique, puis de préférer Covid, et ce vide est plus angoissant encore ; l’adversaire est partout, par
tout dans le vide contre lequel nous avons le seul recours dérisoire de nous avancer masqués.
Masque. Le mot est là, depuis des mois. On a tout dit de lui, par lui, qu’il ne servait à rien puis qu’il devait servir à tout, et en tout cas à plus que rien. Notre rapport avec le port du masque a d’abord consisté dans la difficulté à s’en procurer, dans la terrifiante indignation de savoir que les soignants confrontés aux malades n’en disposaient pas toujours, et loin de là. Puis il est devenu
acteur majeur de la comédie sociale, dans le processus
du déconfinement. Supprimer l’expression de la bouche donne davantage de poids au regard. Ils ont été moqueurs parfois de la part des non-masqués à l’égard des masqués, et puis de moins en moins moqueurs, et cela n’est pas très rassurant. Mais, si la geste humaine autour du masque a pris en quelques mois de nouveaux visages, le mot lui-même n’en est pas bouleversé. Il a en lui trop de connotations, trop d’histoire pour changer d’essence. Il garde ce mélange en lui d’ombre médiévale sur fond
de peste et de choléra, et de casuistique amoureuse carnavalesque vénitienne et casanovesque – l’érotisme
et la mort en restent fiancés.
Il n’en va pas de même avec confinement, confiner, confiné. Les politiques n’ont pas l’apanage du langage.
Mais, au début de la pandémie – quel mot, aussi ! qui suspend sa menace au-dessus du globe entier –, un élu a délivré ce paradoxe : « C’est par le confinement que les hommes montreront leur générosité. » Ah, là ça changeait tout. Confiné était toujours utilisé en lien avec étroit, petit, frileux, égoïste. Et voilà qu’il prenait tout à coup une expansion oxygénée contre-nature. Ou pas. Le confinement se surprenait lui-même à devenir un art de vivre.
Nous eûmes bientôt les moralistes du confinement – quel que soit le domaine, c’est dans la nature des humains de trouver matière à affirmer une supériorité sur leurs petits semblables. Heureusement, il y eut aussi des sages authentiques, des confinés grands voyageurs
de la vie, comme l’ami Gilles Vigneault, éternel en humanité, et dont j’eus tant de bonheur à entendre la voix si proche venue d’outre-Atlantique, avec en prime un humour merveilleux : « C’est bien aussi, le confinement. On prend du recul, on apprend à vivre avec le silence. On s’entraîne. »
Confiné n’est plus tout à fait borné, limité, exsangue. Ça n’est déjà pas mal. Mais, du coup, déconfiné, déconfinement n’ont pas muté en explosion primaire. L’ambiguïté a chassé l’étroitesse. S’agit-il un peu des autres ou simplement de soi quand on ajoute l’adjectif confiné à des mots qui ne recevaient jamais ce compagnonnage ? Le Robert historique nous dit que, pendant des siècles, confiner a été voué surtout à un sens pénal. Et si nous nous servions du Covid pour abolir quelques
prisons et pour changer les mots ?
SUPPRIMER L’EXPRESSION DE LA BOUCHE DONNE DAVANTAGE DE POIDS AU REGARD