L’atelier d’écriture
SANS INSPIRATION, LE TEXTE EXPIRE ; SANS CORRECTIONS, LE TEXTE SOUPIRE
❤xiste-t-il une méthode universelle pour écrire ? L’Histoire prouve le contraire. Non seulement aucun auteur ne compose ses livres comme ses collègues, mais il réalise différemment ses divers livres. Chaque oeuvre appelle des regards, des soins particuliers. En littérature ne circulent que des prototypes, pas des modèles produits à la chaîne – j’ai bien précisé « en littérature », car « dans l’édition » on raffole du roman industriel ajusté aux demandes d’un public.
Au sein de cette pluralité foisonnante, une distinction subsiste : celle de l’artiste et de l’artisan. Si tout écrivain exerce les deux rôles, il ne faut pas confondre l’artiste et l’artisan sous prétexte que la vie les réunit dans un corps.
L’artiste reçoit l’inspiration, l’artisan, la page. Le premier porte attention au sujet, le second à l’objet. Quand l’artiste ignore ce qu’il trouvera, l’artisan connaît ses outils. L’artiste s’enivre de liberté ; épris de maîtrise, l’artisan applique ses règles.
Chercheur, aventurier, fou peut-être, l’artiste entraperçoit une situation, des personnages, et voilà que son esprit se pénètre de cette intuition. Avançant en terre vierge, il expérimente, dévoile, écoute. Loin de détenir une idée précise ou préconçue de l’oeuvre, il demeure disponible, surpris, ouvert, plastique. Puisque l’oeuvre prend forme au fur et à mesure, il assiste à sa naissance en l’accompagnant.
Une fois l’enfant mis au monde, l’artiste confie le bébé à l’artisan, qui va le toiletter, l’emmailloter, le stimuler, l’hydrater, l’alimenter, le discipliner, l’instruire. L’artiste est l’accoucheuse, l’artisan la nourrice.
Au rebours de l’artiste, l’artisan n’improvise pas, il utilise des règles universelles qu’il n’a pas apprises de lui-même mais de l’extérieur en étudiant les chefs-d’oeuvre : nettoyer, corriger les faiblesses, renouveler le vocabulaire, unifier les images, affiner le hâtif, allonger le furtif, raccourcir l’itératif. L’artisan emploie un savoirfaire, tandis que l’artiste pratique un savoir-recevoir.
Inventer et perfectionner relèvent d’activités différentes, qui ne requièrent pas des qualités identiques – selon la science, elles mobilisent des zones distinctes du cerveau. Activités différentes, elles se montrent surtout divergentes, au point que leur mauvais usage conduit à l’impasse.
Conseil : séparer l’artiste et l’artisan
Je suggère donc d’opérer en deux temps : créer, puis fabriquer. Sinon, deux problèmes surviennent : l’artisan cramponné à l’artiste le leste et l’empêche de déployer ses ailes en prenant les plus beaux risques ; l’artiste débarrassé de l’artisan ne fournit que l’esquisse d’un ouvrage, un livre prometteur au lieu d’une promesse tenue.
L’homme crée en un seul geste. Il travaille en mille gestes. Sans inspiration, le texte expire ; sans corrections, le texte soupire. Respectez d’abord l’artiste en le libérant des inhibitions, des entraves, laissez-lui son élan, son feu, sa fièvre, ses vertiges. Respectez ensuite l’artisan qui laborieusement retranche les approximations et polit les pages durant des semaines.
Créer est singulier, peaufiner est académique. Leur confusion expose au danger. Ne mettez pas l’académique dans le créatif, ni le créatif dans l’académique. Si l’originalité et la conformité appartiennent à vos devoirs, accordez-les sans que l’une écrase l’autre : le génie propose, le travailleur dispose.