« DU SENS PLUS QUE DU SENSATIONNEL »
Présent à la fois à la radio (Boomerang, sur France Inter) et à la télé (21 cm, sur Canal+), Augustin Trapenard est l’animateur branché du PAF. Et se fait l’avocat du temps long contre le buzz éclair.
Auteurs et éditeurs se plaignent souvent que la visibilité médiatique des livres s’amenuise. Vos émissions sontelles des zones de résistance ?
Augustin Trapenard. Je ne pense pas que la place du livre s’amenuise dans les médias – on voit au contraire surgir dans le paysage médiatique de plus en plus d’interventions, de prescriptions ou même d’invitations d’écrivains. La question réside moins, à mon avis, dans la place que dans le traitement de la littérature. L’un des enjeux de Boomerang, comme de 21 cm, est d’échapper à la promotion, pour préférer un questionnement sur l’oeuvre tout entière, les techniques d’écriture, le parcours et l’identité de l’écrivain invité. Un autre est de proposer, et c’est peutêtre là qu’on peut parler de résistance, des espaces de parole plus longs, moins séquencés, qui préfèrent le sens au sensationnel. Si ces deux émissions se concentrent sur des artistes qui ont une oeuvre à défendre, j’ai créé la chronique hebdomadaire 21 cm de +, sur Canal+, pour mettre en lumière des textes d’aujourd’hui souvent plus confidentiels, de petites maisons d’édition et de jeunes écrivains.
À vos yeux, qu’est-ce qu’un bon client ?
A.T. Je ne fais pas partie de ces producteurs ou animateurs qui « testent » l’invité avant de l’interroger, pour voir s’il « parle bien » ! Je refuse par ailleurs de considérer un écrivain comme un potentiel « client », dans la mesure où je n’ai rien à lui vendre. Si la parole de l’écrivain ne témoigne pas toujours au mieux de son écriture, c’est à moi de le rendre intelligible par un questionnement singulier. Et tant mieux si la parole de l’artiste tremble ou trébuche – elle prouve ainsi qu’elle résiste à celle, suturée, de l’expert, du journaliste ou du politique.
Quelle est votre ligne éditoriale ?
A.T. Au-delà du jugement de goût, je construis la programmation de Boomerang et de 21 cm à partir d’artistes qui m’interrogent, qui ont une place établie dans le champ littéraire, et dont l’oeuvre mérite, à mon sens, d’être questionnée. Pour ce qui est de 21 cm de +, je m’accorde des jouissances bien à moi !
Quel est le pouvoir de prescription de vos deux émissions ? Passer à Boomerang ou dans 21 cm a-t-il un impact immédiat sur les ventes des auteurs concernés ?
A.T. Il faudrait demander aux libraires ou aux éditeurs, dont c’est le métier… Le mien n’est ni de vendre ni de promouvoir, mais d’interroger, de produire du sens ; ou de passer un bon moment, tout simplement. L’un des drames du journalisme littéraire, justement, réside à mon avis dans cette obsession du chiffre ou du rendu. Évidemment, la forte audience des matins de France Inter offre une grande visibilité à mes invités [près de 2 millions d’auditeurs récemment pour Pascal Quignard], mais, avant qu’on achète leur livre, j’espère surtout que les auditeurs ont été intéressés, troublés, questionnés. 21 cm est une émission mensuelle, beaucoup plus confidentielle, dont les presque 30 numéros n’ont aucune vocation de promotion mais invitent à découvrir le parcours et la personnalité d’un écrivain majeur dans le champ littéraire. Ce qui m’intéresse, c’est de proposer une collection, petit à petit, d’images d’archives et d’entretiens singuliers. Et si on essayait la qualité ?
Propos recueillis par L.-H.L.R. Boomerang (sur France Inter, du lundi au vendredi à 9 h 10) ; 21 cm (sur Canal+, dates et horaires variables)