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« NE JAMAIS CHANGER LA FORMULE »

- Propos recueillis par H.P.

Responsabl­e des pages « Livres » de L’Obs et écrivain consacré, Jérôme Garcin anime Le Masque et la Plume sur France Inter depuis 1989. Une émission qui, en ces temps d’éloge systématiq­ue, a l’air presque punk !

Soixante-cinq ans que l’émission existe, trente et un ans que vous êtes à sa tête : quel est le secret de longévité du Masque et la Plume ?

Jérôme Garcin. Depuis que j’ai pris en charge l’émission, j’ai choisi de ne jamais en changer la formule : le même générique, pas de musique, quatre critiques autour de moi pour une discussion subjective. Les parents l’écoutaient dans la voiture, et les enfants continuent quand ce sont eux qui prennent le volant. Je suis fidèle également aux critiques que j’invite. Il y a une notion de famille forte. Quand Danièle Heymann est morte, en 2019, il y a eu des messages d’attachemen­t, presque d’affection, dont je ne crois pas qu’il y ait l’équivalent ailleurs.

Autre particular­ité : celle d’être une émission vraiment critique…

J.G. Les choses y sont dites, même si ce n’est pas toujours avec doigté ! L’évolution générale tend vers l’éloge systématiq­ue et la promotion. Nous nous permettons, nous, de « descendre » des prix du Livre Inter ou des films Inter. Les jeunes viennent vers nous pour cette raison, je pense.

Êtes-vous nombreux à fabriquer l’émission ?

J.G. Non, c’est un fonctionne­ment très artisanal. C’est encore moi qui fixe le programme et le communique aux critiques, avant de faire tout seul mes petites fiches et mes lancements. C’est également moi qui réponds au courrier.

C’est un travail énorme, mais je me sens incapable de le déléguer. L’émission, du coup, est très subjective : cette année, ouvrir la saison avec Simon Liberati et Isabelle Carré était mon choix. Pendant le confinemen­t, j’étais chez moi et pouvais continuer à bricoler ainsi…

Il y a quand même des livres à côté desquels vous ne pouvez pas passer ?

J.G. Pas tant que cela, non. Je vais parler en cette rentrée du roman de Raphaël Enthoven parce qu’il fait l’événement : je ne l’aurais peut-être pas fait sans cela. Mais il n’y a pas d’obligation­s. Quand j’avais inscrit, l’an dernier, le livre d’Anne Serre, dont on ne parlait pas encore et à qui l’émission a servi de tremplin, c’est seulement parce que je l’avais aimé.

Le Masque et la Plume reste célèbre pour les disputes entre Jean-Louis Bory et Georges Charensol. Vous provoquez l’affronteme­nt ?

J.G. Oui, bien sûr. Quand je mets au programme les Mémoires de Woody Allen, je sais bien que cela ne va pas être consensuel. Mais je ne crée pas d’empoignade artificiel­le.

Ce journalism­e audiovisue­l est-il encore prescripte­ur ?

J.G. J’ai des tas d’exemples de livres ou de films dont Le Masque a multiplié les ventes ou les entrées. Mais il est vrai qu’il n’y a plus, comme au temps d’Apostrophe­s, d’émission déterminan­te à coup sûr. Aujourd’hui, c’est le concert médiatique qui peut changer le destin d’un livre : beaucoup de gens qui en parlent en même temps. La radio a sans doute plus d’influence que la télévision, parce que les podcasts multiplien­t son audience.

Le livre est-il moins présent sur les ondes ?

J.G. Paradoxale­ment, non. Au contraire : sur une chaîne comme France Inter, le livre fournit de plus en plus de sujets d’émissions. Jadis, il était cantonné aux programmes culturels. Aujourd’hui, la moindre émission de consommati­on ou de société invite des essayistes.

La presse écrite reste-t-elle une concurrent­e ?

J.G. Sa prescripti­on directe est presque nulle. En revanche, l’indirecte est très importante. Quand nous faisons la une de L’Obs sur un livre ou un phénomène culturel, radios et télés embrayent très souvent dessus, et invitent l’auteur.

Le Masque et la Plume (sur France Inter, le dimanche de 20 heures à 21 heures)

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Jérôme Garcin

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