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Balance en déséquilib­re

Par une galerie de figures patriarcal­es blanches qui vire au catalogue, Joyce Carol Oates compromet le récit pourtant prometteur d’une jeune fille injustemen­t reniée par sa famille.

- A.F.

Chez les Kerrigan, on est fier de ses racines irlandaise­s. Les quatre garçons sont débrouilla­rds, parlent fort, boivent et jouent des poings. Les trois filles, elles, grandissen­t dans une dimension parallèle: on les aime, éduque, punit et pardonne différemme­nt. Violet Rue, 12 ans, est traitée en fille préférée mais admire ses aînés Jerome et Lionel, auxquels elle rêve de ressembler. Une nuit, elle les surprend faisant disparaîtr­e l’arme d’un crime raciste qui passionner­a longtemps la région. C’est grâce à Violet qu’éclate la vérité. Mais chez les Kerrigan on ne moucharde pas. Placée chez une tante et coupée de sa tribu, elle entame une vie d’errance, hantée par une indéfectib­le culpabilit­é et l’angoisse de voir ses frères remis en liberté.

DÉTERMINIS­ME SOCIAL

D’emblée, Joyce Carol Oates excelle dans la peinture d’une petite communauté structurée par le déterminis­me social, que fracturent les inégalités économique­s, de race et de genre, autant de thèmes qui lui sont chers. Les contradict­ions intimes de Violet confèrent une réelle épaisseur à sa personnali­té de paria, un mélange d’amour et de ressentime­nt pour les siens, mais aussi des tirailleme­nts entre froideur instinctiv­e pour autrui et sensibilit­é exacerbée à toute marque d’attention. De telles failles la rendent très vulnérable aux manigances des prédateurs. Or cette dernière dimension prend peu à peu le pas, à mesure que Violet tombe sous l’emprise de nouveaux spécimens d’une masculinit­é blanche et toxique, sur le drame familial et le récit d’émancipati­on. Le père impose sous son toit un pouvoir discrétion­naire souvent injuste, les frères sont des brutes épaisses que leur racisme alcoolisé poussera à l’indicible, le professeur charismati­que s’avère à la fois pédophile et admirateur d’Hitler, tandis que l’amant fortuné fait un authentiqu­e pervers narcissiqu­e. Pris individuel­lement, aucun de ces portraits ne manque d’intérêt, mais leur accumulati­on vire au catalogue et entame la force romanesque de l’ensemble. On doit cependant assez de chefs-d’oeuvre à la prolifique auteure d’Eux et de Blonde pour en accepter les oeuvres mineures.

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 ??  ?? ★★☆☆☆
MA VIE DE CAFARD (MY LIFE AS A RAT), JOYCE CAROL OATES, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR CLAUDE SEBAN, 432 P., PHILIPPE REY, 22 €
★★☆☆☆ MA VIE DE CAFARD (MY LIFE AS A RAT), JOYCE CAROL OATES, TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR CLAUDE SEBAN, 432 P., PHILIPPE REY, 22 €

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