PSYCHIATRIE SUR LE DIVAN
Dans Étouffer la révolte, le psychiatre américain démontre, archives à l’appui, que sa discipline fut souvent instrumentalisée pour enfermer des individus gênants. Au risque, pour des praticiens victimes de leurs préjugés, de se faire les ennemis des droits civiques.
Aux États-Unis, la question de la race et du sexisme resurgit sans fin. Le xxe siècle est marqué par le combat pour le Civil Rights Act qui met fin, en 1964, sous la présidence de Lyndon Johnson, à toutes les formes de discrimination basée sur la race, le sexe ou la religion. Cette avancée sociale historique n’a pas été votée sans résistance. Or la psychiatrie est souvent venue renforcer les croyances selon lesquelles toutes les ethnies ne se valent pas. Comme l’écrit Jonathan Metzl en préambule, « ce livre retrace la façon dont les origines raciales se sont progressivement inscrites dans la définition de la maladie mentale. Il entend révéler de quelle manière l’anxiété liée aux différences ethniques peut façonner les rencontres entre patients et médecins ».
HÉRITAGE DE L’ESCLAVAGE
L’auteur, psychiatre et professeur à la Vanderbilt University, jette une lumière crue sur l’histoire de sa discipline. En fouillant les archives médicales et les premiers traités de psychiatrie consacrés aux esclaves, il met en exergue le lien artificiel créé entre pathologie mentale et couleur de peau. Ce lien avait pour but de légitimer la hiérarchie. Héritage navrant de l’époque de l’esclavage, les préjugés raciaux continuent de nuire aux diagnostics psychiatriques aux États-Unis, car « les tensions raciales sont partie intégrante des interactions cliniques ». Pour faire évoluer la psychiatrie, il est nécessaire de comprendre ses dysfonctionnements.
Metzl utilise admirablement l’histoire pour que les erreurs passées ne soient pas reproduites. Ses propos ne sont ni moralisateurs ni animés par la culpabilité ou le désir fantasmatique de vengeance. L’auteur est factuel et permet à ses lecteurs de nourrir leur réflexion sur les pathologies sociales au pays de l’Oncle Sam.
BIAIS COGNITIFS
Après une préface éclairante sur l’évolution du diagnostic en psychiatrie et sur les catégorisations évolutives du DSM (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux en français), l’auteur découpe son ouvrage en six parties articulées autour de cas de patients ou de lieux tels que l’hôpital d’Iona, réservé aux criminels pénalement irresponsables. En s’appuyant sur des archives parfois restituées sous la forme d’extraits, il analyse l’évolution de la psychiatrie concomitamment aux luttes civiques entre les années 1920 et les années 1960. Si la schizophrénie est définie à cette époque comme la conséquence d’un excès de masculinité chez l’homme noir, c’est bel et bien pour pouvoir enfermer facilement tous les hommes noirs faisant preuve de violence dans l’espace public et démontrer leur dangerosité. In fine, et sans doute inconsciemment, les psychiatres ont banalisé et institutionnalisé le cliché du Noir ontologiquement violent.
Mais le cas d’Alice Wilson, par exemple, témoigne également de la position sociale inférieure des femmes blanches aux ÉtatsUnis. Dans les années 1950, une dépression pouvait encore conduire une mère de famille à l’asile pour schizophrénie ! Jonathan Metzl se refuse néanmoins à juger ses prédécesseurs et met en garde contre le « présentisme historique », cette erreur qui consiste à appliquer la toute dernière version du DSM à des personnages historiques, appartenant par définition au passé. Il rappelle plus subtilement que nous sommes tous les fruits de nos époques. Les psychiatres d’aujourd’hui sont ainsi tenus de connaître leurs propres biais cognitifs pour établir les diagnostics les plus justes. Et la méthode de pensée du psychiatre peut évidemment être élargie à tout un chacun, afin que triomphent les valeurs humanistes dans notre monde en crise.