CLAP DE FIN
Géopolitique, économie, société… Dans son ultime numéro, la célèbre revue Le Débat, éditée par Gallimard, balaie le chemin parcouru depuis sa création il y a quarante ans. Une somme remarquable.
Des ventes régulières (3 500 exemplaires), une situation financière équilibrée : rien n’annonçait la fermeture du Débat. Mais, face à la « crise de la curiosité à horizon encyclopédique », la « baisse du niveau culturel » et les nouvelles questions (biodiversité, spécisme, crises climatiques et sanitaires…) à mille lieues du triptyque histoire-politique-social sur lequel reposait la revue, son cofondateur Pierre Nora a choisi le sabordage. Au risque de donner une réponse tragique à la question du premier numéro, sorti en 1980 : « Que peuvent les intellectuels ? ».
Aujourd’hui, constate ce numéro axé sur les révolutions en tout genre qui ont émaillé ces quarante dernières années, la perspective d’un nouveau monde bipolaire s’esquisse, selon l’ambassadeur de France Gabriel Robi : « À l’ouest, l’Europe blottie contre les ÉtatsUnis et, à l’est, la Chine flanquée de la Russie. » Entre les deux, « un Moyen-Orient partagé entre l’Iran chiite et l’Arabie sunnite ». Mais la dynamique est du côté de la Chine, qui « s’ouvre et se déploie », quand les États-Unis « se replient et se raidissent ». De ce côté-ci de l’Atlantique, « les élites en sont encore à poursuivre leur rêve européen dans l’incompréhension grandissante des peuples ». La France « figure dans le camp des perdants », parce qu’elle s’est « laissé prendre […] au mirage européen ». L’avenir se jouait dans le Nouveau Monde, pas au-delà des Alpes. Tout n’est pas écrit, tempère l’ex-directeur politique du Quai d’Orsay, à condition que la France et la Russie s’entendent sur « une Europe de Brest à Vladivostok ». Ultime résurgence de l’Europe des patries gaullienne?
CAPITALISME CONTRACTUEL
La mondialisation s’est accompagnée de la libéralisation des économies et de l’ouverture des marchés. Le revers du « gonflement » du « capitalisme financier » a été « l’emprise d’une société de marché hors sol, dont les déséquilibres permanents peuvent provoquer à tout moment des crises économiques et sociales », met en garde le banquier Charles-Henri Filippi. Pour sortir de l’ornière, il faut remettre en question les deux certitudes du moment: le profit actionnarial comme référent unique et le travail comme simple marchandise. Alors, il sera temps de revenir au « capitalisme contractuel », démocratique et tempéré, esquissé après la guerre. Sur le plan politique, l’optimisme démocratique de la fin du xxe siècle, sur fond de disqualification des totalitarismes et de coopération internationale, a cédé la place au populisme et à la démocratie d’opinion. Le constat est noir. L’historien Pierre Vermeren invite à ausculter les « jeunesses françaises ». Le risque, c’est que la « jeunesse mondialisée », les enfants des bourgeoisies, et la « jeunesse reléguée », les enfants de l’immigration, qui vivent en parallèle, renouent « avec la vieille passion française de la guerre civile ».
Il est impossible de résumer la trentaine de contributions signées Bruckner, d’Iribarne, Julliard, Krastev, Ory… Y sont abordés pêlemêle la « techtonique » numérique, l’avenir de la laïcité, Houellebecq, l’état de la langue française, l’écologie… Avec la même volonté, comme au premier numéro, de « lutter sur deux fronts, contre la réduction médiatique et la spécialisation universitaire ».