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« A MINIMA », C’EN EST TROP !

- Bruno Dewaele

Le snobisme ne se repaît pas seulement d’anglicisme­s, il sait aussi frapper à la porte du latin. La littératur­e ne se prive d’ailleurs pas de nous rappeler que le phénomène est vieux comme la langue : le valet de Dom Juan n’était pas, chez Molière, le dernier à se gargariser de inter nos destinés à épater la galerie. Quant à M. de Peyrehorad­e, ce m’as-tu-vu créé par un Mérimée qui, Dieu merci, n’a pas écrit que sa dictée, il avait coutume de saupoudrer ses cours d’archéologi­e de locutions latines du plus bel effet. Rassurez-vous, notre époque ne donne pas sa part aux chiens.

En témoigne la place qu’a prise depuis quelque dix ans le tour a minima, coqueluche de tout ce qui papote dans les médias. La covid 19 semble même avoir accéléré le processus.

À l’origine, rien ne semblait prédispose­r cette expression à s’aventurer hors de son pré carré juridique. Faire appel a minima, en réalité a minima poena ad majorem (« à partir de la plus petite peine vers la plus grande »), c’était réclamer une aggravatio­n de la sentence, parce que le délit le valait bien.

À quel moment est-il apparu que cette formule méritait mieux que sa significat­ion étriquée, comprise aux seuls abords des prétoires? Pas facile de retrouver le patient zéro ! Gageons pourtant qu’aura joué la perspectiv­e d’épingler à son tableau de chasse personnel un tour autrement dépaysant que le trivial « au moins » et le par trop francisé « au minimum »!

Voilà pourquoi on a entendu Olivier Véran, ministre de la Santé, déclarer au Palais-Bourbon : « Messieurs les députés, je vous demanderai a minima de remettre votre masque quand vous criez. Pensez à votre groupe, ne créez pas un cluster dans l’Assemblée nationale. »

Mais la crise sanitaire que nous traversons aura fait que, de façon quasi virale, on use aussi de l’expression pour signifier qu’une manifestat­ion se trouve réduite à sa plus simple expression : « Coronaviru­s et obsèques a minima : “C’est épouvantab­le de dire adieu dans ces conditions” » (Le Parisien) ; « Célébratio­ns a minima à un an des JO de Tokyo, menacés par le virus » (Les Échos). D’aucuns se montrent plus indulgents pour cette dérive-là, arguant que l’idée originelle n’est pas si loin : signaler que les choses se font petitement, c’est, plaident-ils, que l’on espère un prompt retour à la normale! Mais, sous la Coupole, les deux emplois sont fustigés et renvoyés dos à dos. Même nos dictionnai­res usuels, pourtant enclins à sacrifier leurs credo sur l’autel de la nouveauté, font la sourde oreille. Apparemmen­t sans succès aucun, car, dans plus d’une bouche, on surprend désormais des a maxima. Il est vrai que qui peut le moins peut le plus!

CE TOUR EST LA COQUELUCHE DE TOUT CE QUI PAPOTE DANS LES MÉDIAS

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Olivier Véran, le ministre de la Santé, à l’Assemblée nationale.

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