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« Clique et rapplique ! »

Devant la vague automnale de Covid-19, qui voit les portes de leurs boutiques fermer pour la seconde fois, les libraires se sont organisés et ont tenté de faire contre mauvaise fortune bon coeur.

- Laëtitia Favro et Gladys Marivat

La scène a des airs de « déjà-vu ». En cette veille d’Halloween, les files d’attente s’allongent devant des vitrines où les livres ont été recouverts de toiles d’araignées, comme un clin d’oeil de mauvaise augure à la fermeture des commerces non essentiels dont font, une nouvelle fois, partie nos librairies. Depuis le premier confinemen­t, des initiative­s ont néanmoins fleuri chez des commerçant­s jamais en manque d’inspiratio­n, qui, pour beaucoup, ont adopté le « click and collect » – ou « cliquer-retirer » pour les anglicismo­phobes. Si, au printemps, seules 400 librairies sur les 3 300 existantes avaient eu recours à ce mode de distributi­on, elles sont désormais 1 400 à l’avoir intégré dans leur logistique. Le principe ? Le lecteur commande ses livres en ligne, par e-mail ou par téléphone, qu’il ira ensuite chercher sur rendez-vous dans la librairie de son choix. Une démarche a priori gagnantgag­nant, puisqu’elle permet aux libraires de maintenir une activité et au lecteur confiné d’assouvir sa soif de lectures. Mais qui ne suffira pas à combler le déficit de ventes, d’ordinaire beaucoup plus importante­s à l’approche des fêtes de Noël, en dépit des nombreux « achats de soutiens » de clients fidèles.

QUID DE L’ÉCHANGE AVEC LE CLIENT ?

Le retrait en magasin induit par ailleurs une logistique différente de celle à laquelle sont habitués les libraires, qui ont le sentiment d’être réduits à traiter la commande, la préparer et à la remettre à l’acheteur.

« Le contact humain me manque, j’ai l’impression de gérer une start-up et une usine », explique Sylvia Whitman de Shakespear­e and Company à Paris. Si elle se réjouit d’être

« dans l’action » et met un point d’honneur à honorer les demandes de ses clients très mobilisés pour aider la librairie anglophone qui a perdu 80 % de son volume de ventes à la suite du premier confinemen­t, la libraire a dû arrêter le « cliquer-retirer » jusqu’au 1er décembre, tant il est difficile de soutenir le rythme. Quatre employés sont mobilisés pour préparer un colis, qu’il contienne un poche à 2 euros ou dix livres à 20 euros.

« C’est un travail de titan, et ça n’est pas notre métier de rester devant l’ordinateur toute la journée, puis de courir comme des lapins pour trouver les ouvrages », abonde Hélène des Ligneris. La directrice de La Machine à Lire déplore une perte de la moitié de son chiffre d’affaires alors que ses équipes travaillen­t à plein temps.

Depuis le 30 octobre, les clients de l’enseigne bordelaise peuvent venir retirer leur commande, être livrés par la poste ou à bicyclette. Mais quid de l’achat au hasard d’une flânerie en ville un samedi, ou d’une déambulati­on dans les allées d’une librairie ? Et de l’échange essentiel avec le lecteur pour le guider vers LE texte qui le fera rêver ? À l’instar de La Machine à Lire, les libraires prodiguent des conseils lors de permanence­s téléphoniq­ues, via leurs sites Internet et réseaux sociaux, ou dans leurs vitrines au moyen de sélections « rentrée littéraire » ou « spécial Noël ». « Les newsletter­s proposant des conseils de lectures ont elles aussi un effet direct sur les ventes », note Romain Plyer, secrétaire général des Libraires Ensemble, dont les adhérents ont remarqué une hausse des commandes de l’ordre de 40 % le jour d’envoi de ces conseils.

Malgré ces initiative­s, la réalité des ventes trahit un engouement pour une quantité restreinte de titres. Dont L’Arabe du futur 5

de Riad Sattouf, paru une semaine après la fermeture des librairies, et qui est un succès général. Ce qui n’est pas le cas des prix Femina et Médicis, desservis par une annonce en catimini et le report du Goncourt et du Renaudot. À La Machine à Lire, on note le succès du nouveau roman de Laurent Mauvignier – dont l’oeuvre a fait l’objet d’une vitrine –, d’ouvrages de sciences humaines ainsi que de classiques comme Le Bruit et la Fureur de Faulkner. Enfin, conséquenc­e de la désertion des touristes étrangers, Mrs Dalloway de Virginia Woolf a détrôné Paris est une fête

d’Hemingway comme meilleure vente de la librairie Shakespear­e and Company.

LE RETRAIT EN MAGASIN N’EST PAS UN MODÈLE DURABLE

Très prudents lors du premier confinemen­t, de nombreux libraires insistent aujourd’hui sur leur capacité à rouvrir dans le respect du protocole sanitaire. Pourtant, si la grande distributi­on s’est elle aussi tournée vers le « cliquer-retirer » pour remédier à la fermeture de ses rayons livres, les ventes ne dépassent pas 10 % du chiffre habituel à l’espace Culture de l’Hyper U

de Chantonnay, en Vendée. « Une partie de notre clientèle est âgée et n’utilise pas Internet, indique Julie Fabre, libraire. Je partage la volonté de préserver les petits commerces, mais dans un rayon de cinquante kilomètres, vous ne trouverez pas d’autre commerce proposant des livres. Il est certain qu’une partie de nos habitués se sont redirigés vers les plateforme­s de ventes en ligne. »

Attaqué pour « abus de position dominante » par la Commission européenne, Amazon est sous le feu des critiques. Y compris d’Intermarch­é qui a mis en place un « drive solidaire ». « Désolé Amazon », disaient les encarts publicitai­res diffusés dans la presse nationale et régionale. L’enseigne de grande distributi­on veut permettre au libraire d’une ville qui n’a pas la capacité de passer en « cliquer-retirer » de proposer ses livres aux clients locaux dans le drive de l’Intermarch­é de sa commune. Le 9 novembre, plus de 140 librairies y avaient adhéré.

Présenté comme une alternativ­e viable, le retrait en magasin n’est pas un modèle durable pour les librairies. De nombreuses voix réclament leur réouvertur­e, pointant du doigt les pays – dont la proche Belgique – où elles sont restées ouvertes parce que considérée­s comme des commerces essentiels.

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Réceptionn­er les livres et les déballer.
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Préparer la liste des commandes.
 ??  ?? La Machine à Lire, à Bordeaux, a réalisé une vitrine sur l’oeuvre de Laurent Mauvignier.
La Machine à Lire, à Bordeaux, a réalisé une vitrine sur l’oeuvre de Laurent Mauvignier.

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