UNE VIE EN ENFANCE
Petite fille brillante, adolescente réfugiée dans l’écriture, épouse et mère insaisissable, Enyd Blyton n’a jamais voulu quitter le monde de l’enfance, consacrant son existence à imaginer des histoires pour les plus jeunes. Référence mondiale de la littér
Il y a, en Enid Blyton, un mystère qui résiste à l’analyse, une dualité un peu effrayante. Elle est « un enfant », assène un psychologue. « Qui pense comme un enfant, et écrit comme un enfant.
[Elle] n’a pas de dilemmes moraux. »
Un enfant qui, à la tête d’un empire éditorial sans équivalent, a vendu plus de 600 millions de livres. Fille aimante, épouse modèle, mère dévouée ? Elle a snobé les funérailles de ses parents, privé son premier époux de ses rejetons et ruiné sa carrière. On lui prête une vie paisible – bridge, potager, animaux –, elle pourrait être la Beatrix Potter de son temps… « Arrogante, juge au contraire Imogen, sa fille cadette, anxieuse, prétentieuse, très douée pour chasser de son esprit les choses difficiles ou désagréables, dépourvue de tout instinct maternel. » Peut-être, mais récoltant sans relâche des fonds pour nombre d’oeuvres caritatives. « Juste et aimante, fascinante au quotidien », déclare par ailleurs Gillian, son aînée.
Son oeuvre ? Protéiforme, chatoyante, puisant à mille sources, de la mythologie aux contes de fées, des histoires animalières aux récits d’aventures – un tourbillon. Travail simpliste, rétorquent ses contempteurs, raciste, misogyne, dégoulinant de bons sentiments, sans valeur littéraire. Les bibliothécaires se pincent le nez, la BBC refuse de diffuser les adaptations radiophoniques de ses ouvrages (« sa capacité à produire du contenu médiocre relève du génie », avance un responsable des programmes), elle se défend avec mollesse. « Les gens qui me critiquent ne savent pas de quoi ils parlent. » De fait, elle n’écrit que pour la marmaille ; l’avis des adultes lui importe peu, elle se trouve à la tête d’une armée béate mais considérable : derrière Jules Verne, Agatha
Christie et William Shakespeare, cette grande prêtresse inoffensive est la quatrième auteure la plus traduite au monde. Enid Mary Blyton naît le 11 août 1897 dans un petit appartement du sud de Londres. Sans tarder, ses parents déménagent à Beckenham, dans le Kent – elle y passera l’essentiel de son enfance.
Elle a deux frères, mais c’est son père qui occupe le centre de sa vie. Art, musique, littérature, promenades dans la nature… Il l’initie « aux fleurs, aux oiseaux, aux animaux sauvages ». Un jour, encore bébé, elle contracte la coqueluche. Les quintes de toux la déchirent, les médecins la donnent perdue. Toute une nuit, son père la berce contre lui ; sauvée ! Avec sa mère, les choses sont plus délicates. Cette grande femme aux cheveux corbeau, que les arts ou la flore indiffèrent, regrette que sa fille ne participe pas davantage aux tâches ménagères, et voit d’un mauvais oeil la relation privilégiée qu’elle entretient avec son père.
L’ÉCOLE, UN PARADIS CONFIT
L’école est en face de la maison. Il y a de petites chaises, un chien, des images au mur… Un paradis confit. Enid est une fillette joueuse, dotée d’une excellente mémoire. Elle joue aux échecs, lit Alice au pays des merveilles, Les Quatre Filles du docteur March ou La Princesse et le Gobelin, son préféré. En 1907, elle entre à l’école pour filles de St. Christopher. Populaire, énergique, elle remporte des tournois de tennis, excelle en composition anglaise. Chez elle, par contraste, l’ambiance est morose. Ses parents, qui ne se sont jamais vraiment entendus, finissent par se séparer. Son père part vivre avec une autre femme. Il est en voyage, raconte
SON OEUVRE ? PROTÉIFORME, CHATOYANTE, PUISANT À MILLE SOURCES
t-on. La petite se sent trahie. Cloîtrée dans sa chambre, elle passe son temps à « griffonner », envoie des récits et des vers à des magazines, collectionne les lettres de refus. Une perte de temps, peste sa mère. Enid joue très bien du piano, elle pourrait devenir musicienne ; elle caresse d’autres projets. Devenue adulte, elle rompt pratiquement tout contact avec sa génitrice. En 1917, l’un de ses poèmes est accepté par Nash’s Magazine. Il a pour titre Have you ?
D’abord professeur dans une école pour garçons du Kent, Enid devient gouvernante dans le Surrey. 1922 voit la publication de son premier ouvrage : Child Whispers, un mince volume de poésie. Le 28 août 1924, elle convole avec Hugh Alexander Pollock, qui travaille dans l’édition. Le couple part habiter à Chelsea avant de revenir, en 1926, à Beckenham. On ne quitte pas l’enfance : l’enfance est un dieu prolixe, un monde sans limites, toutes les fables sont là, il suffit d’écouter et de taper à la machine.
L’ÉCRITURE EST SON ROYAUME
En 1929, madame et monsieur s’installent à Old Thatch, un cottage au bord de la Tamise – une maison de livre d’images. Deux filles leur naissent, Gillian et Imogen, 1931 et 1935. Enid contribue à des magazines, des revues. Les histoires s’empilent, elle n’a guère de temps à consacrer à ses enfants et à son mari. Ce dernier, dépressif, commence à boire ; Enid écrit plus encore, en pilote automatique. Durant la guerre, elle rencontre
Kenneth Fraser, un chirurgien, qu’elle épouse en secondes noces (1943). Les filles ne reverront jamais leur père. Dans son autobiographie, Enid ne fait aucune allusion à lui – c’est comme s’il n’avait jamais existé.
À partir des années 1940, son rythme devient impressionnant. Inhumain, grinceront certains. Les séries fleurissent. L’Arbre (1939), Belles histoires (1942), Le Club des Cinq (1942), Les Cinq Détectives (1943), La Famille Tant-Mieux (1945), Jojo Lapin (1948), Le Clan des Sept (1949) et Oui-Oui (1949), pour n’en citer que certaines – traduites en français. Dans les années 1950 (l’apex de sa créativité), soucieuse de garder le contrôle, la désormais célèbre auteure crée Darrell Waters Ltd., sa propre société. Sans oublier le bimensuel Enid Blyton, tout entier consacré à ses productions. En parallèle, elle assure la promotion de ses clubs pour aider les enfants aveugles, paralysés – et les animaux.
À la fin des années 1950, les critiques se multiplient, plusieurs séries s’arrêtent, les problèmes de santé s’accumulent, essoufflement, faiblesse cardiaque – bientôt démence. Enid voudrait retourner à Beckenham, avec son papa et sa maman. A-t-elle jamais quitté le pays des jouets ? Kenneth meurt le 15 septembre 1967, la laissant désarmée. Ses filles sont loin ; elle entre en maison de retraite à Hampstead et, trois mois plus tard, s’éteint « dans son sommeil », comme on dit, rejoignant les ruines glorieuses d’un royaume intérieur qui, aujourd’hui encore, génère chaque année des millions de dollars.
Have you heard the night-time silence, just when all the world’s asleep, and you’re curled up by your window, all alone ?
En septembre 1942, dans une Angleterre entièrement mobilisée par la guerre, paraissait Five on a Treasure Island, un roman d’aventures destiné aux enfants et aux préadolescents. En créant les « Five » – un groupe de quatre enfants fort dégourdis et leur chien –, dont les histoires se déroulent en temps de paix, Enid Blyton redonnait à ses jeunes lecteurs d’alors une part de l’imaginaire dont ils avaient été privés par la guerre. Déjà reconnue comme auteure pour la jeunesse, elle envisageait à l’origine de ne publier que six romans de ces aventures. Le succès fut tel qu’elle finit par en rédiger vingt et un. Rebaptisée en 1951 The Famous Five, la série fit la conquête d’un public croissant de jeunes lecteurs en Europe, aux États-Unis, puis partout dans le monde. Le dernier titre de la série, intitulé Five are Together Again, a paru en Angleterre en 1963. C’est sous le nom de « Club des Cinq » que les Famous Five se sont fait connaître en France.
LES LIEUX STIMULENT LEUR IMAGINATION ET EXCITENT LEUR GOÛT POUR L’AVENTURE
DE LA VERSION ORIGINALE…
C’est en 1955 que les éditions Hachette publient dans la « Nouvelle Bibliothèque Rose » un premier volume de la série sous le titre générique Le Club des Cinq.
Paradoxalement, il ne s’agit pas de la traduction du roman de 1942, mais de celle du deuxième (Five Go Adventuring Again,
1943). Le Club des Cinq et le Trésor de l’île
ne sera en fait traduit qu’en 1962.
Commençons donc par le commencement, autrement dit par Le Club des Cinq et le Trésor de l’île. Si la version française n’a paru qu’en quinzième position, Le Trésor de l’île n’en demeure pas moins, selon la chronologie romanesque, le premier, comme l’indique habilement la quatrième de couverture de l’édition française : « Il fut un temps où François, Mick et Annie ne connaissaient pas encore leur cousine Claude, où Dagobert n’était qu’un pauvre chien errant. » C’est en effet dans cette histoire qu’est raconté comment le groupe des Cinq s’est formé.
Le roman s’ouvre sur une discussion familiale à propos des prochaines vacances. Dans l’original anglais, Mr et Mrs Kirrin, les parents de Julian, Dick et Anne, annoncent à leurs enfants qu’ils doivent se rendre en Écosse pour les vacances et qu’en conséquence ils doivent renoncer au séjour habituel à Polseath, une station balnéaire des Cornouailles. Une alternative est trouvée : les enfants iront au Kirrin Cottage, la propriété de leur oncle Quentin Kirrin et de leur tante Fanny, située à… Kirrin, une autre station balnéaire dans le Dorset. Quentin y est en outre propriétaire de la petite île de Kirrin et du château qui s’y trouve. Sur place, Julian, l’aîné du groupe, 12 ans, un garçon fort intelligent et responsable, Dick, le cadet de 11 ans, et Anne la plus jeune de la fratrie, 10 ans, font connaissance avec leur cousine Georgina, 11 ans, véritable garçon manqué – tomboy en anglais – dont les manières sont un peu rudes : elle ne répond que si on l’appelle George et n’a qu’un seul ami, son chien Timothy, Timmy ou Tim.
… À L’ADAPTATION FRANÇAISE
Dans la traduction française, personnages et lieux sont transposés. Julian Kirrin s’appelle François Gauthier, son frère Dick, Michel dit Mick, et Anne devient Annie. Georgina Kirrin, rebaptisée Claudine Dorsel, ne répond que si on l’appelle Claude et porte le nom de Dorsel, car, dans la version française, la mère de Claudine, Cécile, est la soeur du père des Gauthier. Ainsi les enfants des Five s’appellent-ils tous Kirrin, tandis que, dans le Club des Cinq – par souci de clarté ? –, il y a les trois Gauthier et Claudine Dorsel. Quant au chien de celle-ci, « grand,
1 gros sans race définie », il répond au nom de Dagobert, abrégé en Dag ou Dago.
On change également de toponymie : les Gauthier doivent renoncer à aller en famille à Grenoble – « centre d’excursions charmantes » en montagne – car les hôtels sont complets, Mme Gauthier devant accompagner son mari pour « un voyage d’affaires » dans le Nord. « Vous êtes assez grands pour vous débrouiller seuls », précise-t-elle. M. Gauthier propose de les envoyer chez les Dorsel, que les enfants n’ont vus qu’une fois. L’idée semble d’abord saugrenue à Mme Gauthier : son frère, Henri Dorsel, est un scientifique austère, qui passe son temps à étudier, aspire au calme et ne prise guère la compagnie des enfants. En fait, la soeur de M. Gauthier, Cécile Dorsel, s’en était entretenue avec ce dernier: elle aime les enfants et souhaite que la compagnie d’enfants de son âge rende Claude, « dont l’existence est un peu trop celle d’une sauvageonne », un peu plus sociable.
VACANCES À PLOUMENECH
L’idée d’aller à la mer remplit les enfants Gauthier d’enthousiasme. Tous partent en voiture : direction et la villa des Mouettes, les parents repartant aussitôt pour Lyon afin de préparer leur voyage dans le Nord. Les Gauthier ne font pas tout de suite connaissance avec Claudine. « L’étrange cousine » est allée voir son chien, « son plus grand ami ». On apprend vite que Claude, farouche et « coléreuse », possède en plus d’un sacré caractère « un coeur d’or ». Les premiers contacts sont un peu rugueux, mais très vite les enfants sympathisent, d’autant plus que les lieux, chargés d’une « atmosphère de mystère », stimulent leur imagination et excitent leur goût pour l’aventure. Ils projettent d’aller visiter la petite île de Kernach et son château en ruines – pendant français ou breton de Kirrin – dont Mme Dorsel est propriétaire par héritage et qu’elle a « léguée » (en paroles seulement) à sa fille. L’accès en est malaisé : il y a « quantité d’épaves dans le coin » à cause des récifs, même s’il n’en reste qu’une seule de visible de l’autre côté de l’île. C’est celle d’un bateau appartenant à un trisaïeul de Claude et transportant « de grosses barres d’or » qui, malgré de nombreuses recherches, n’ont jamais été retrouvées.
LE PACTE FONDATEUR
Par étapes, les Cinq nouent une solide amitié. Claude leur a confié son secret: depuis que son père l’a chassé de la maison, elle voit Dagobert secrètement. Les parents Dorsel avaient accepté que leur fille recueille ce chien errant alors qu’il avait un an. Mais ses aboiements et sa manie de mâchonner tout ce qu’il pouvait avaient conduit Henri Dorsel à cette décision radicale. Claude, bouleversée, dut le confier à un jeune pêcheur, consacrant tout son argent de poche à payer une pension pour son chien. Aussi, lorsque François tente de lui offrir une glace, Claude refuse : elle n’a pas assez d’argent pour lui rendre la pareille. L’aîné des Gauthier propose alors de tout mettre en commun, bonbons, glaces, « possession » de l’île et du château, l’épave mystérieuse… Le pacte fondateur des Cinq était scellé.
On notera au passage que, Le Trésor de l’île ne figurant qu’en quinzième position dans la version française, la traductrice a jugé nécessaire d’ajouter à la fin du Club des Cinq (le premier titre de la série française) une scène racontant le pacte fondateur du Club qui ne figure pas dans la version originale anglaise : les Cinq forment un cercle et François, l’aîné, déclare avec solennité : « Nous tous, Claude, Annie, Dagobert, Mick et François réunis ici nous décidons de constituer le Club des Cinq […]. Nous promettons de nous aider, de nous protéger, de garder le secret » (Club des Cinq, 1955). Mais revenons au Trésor de l’île.
DE MIRACLE EN MYSTÈRES
Bon marin, bonne rameuse, Claude conduit les Cinq jusqu’à l’à-pic de l’épave, visible avec « son mât brisé » par temps calme quand les eaux sont claires. Puis, ils visitent le château et l’île qui offrent des terrains de jeu dont, aujourd’hui encore, tout enfant rêverait. Une tempête formidable les surprend alors qu’ils sont encore sur l’île. C’est une tempête « miraculeuse », car elle fait remonter l’épave « de » Claude à la surface. Les enfants retournent tôt le lendemain sur les lieux et récupèrent, avant que pêcheurs et curieux ne viennent la fouiller à leur tour, un petit coffre de bois avec une serrure portant les initiales, H.K. du nom de Henri de Kernach, le fameux trisaïeul dont l’or a disparu. Ils parviennent non sans mal à l’ouvrir en le jetant du haut de la villa des Mouettes. Le coffre de bois contient un autre coffret plus petit, en étain celui-là, qui abrite d’autres énigmes: un journal de bord, des papiers et un vieux parchemin jauni par le temps, en fait une vieille carte que Claude identifie comme étant celle du château de Kernach. Elle comprend en déchiffrant le parchemin qu’il est question de lingots… Il y aurait donc un trésor caché sur l’île de Kernach.
CHASSE AU TRÉSOR PALPITANTE
Mais l’oncle Henri, croyant faire une bonne affaire, décide de vendre le coffret – confisqué aux enfants – à un antiquaire attiré par l’émoi suscité par la réapparition de l’épave. Bientôt, l’antiquaire revient pour proposer d’acheter l’île et le château pour en faire un hôtel. La suite montrera que l’acheteur, un certain Gustave « je-ne-sais-plus-qui », pour reprendre l’expression de l’oncle Dorsel à la fin de l’histoire, s’avérera être un « malhonnête antiquaire ». Pour l’heure, la situation est grave : le trésor risque de devenir la propriété d’un autre. Après en avoir délibéré, Claude et les enfants Gauthier décident de ne rien dire aux parents et demandent la permission d’aller camper un jour ou deux dans leur île. Le temps de réaliser la vente ne laisse que quelques jours aux enfants pour fouiller les oubliettes du château et mettre la main sur le trésor.
Le Club des Cinq et le Trésor de l’île,
On assiste ainsi aux fouilles et aux diverses péripéties qui conduisent les Cinq jusqu’au cachot où ils trouvent les lingots d’or. Mais entre-temps, des malfaiteurs se sont rendus sur place… Il faudra beaucoup de sang-froid, d’à-propos et d’ingéniosité à François, Claude, Mick et Annie ainsi que l’aide opportune de Dagobert pour échapper aux voleurs et pour prévenir les parents Dorsel. Les gendarmes arrêteront les malfaiteurs, dont le chef était l’antiquaire véreux. L’oncle Dorsel a fini par comprendre qu’il s’était largement trompé sur les enfants en général, sur sa fille et ses neveux en particulier. En bon scientifique, qui sait reconnaître ses erreurs (nombreuses à vrai dire dans le récit), il félicite les Cinq pour leur courage et leur jugement. Cela d’autant plus que sa femme (lui-même dans la version anglaise) « hérite » du trésor. Une seule exigence est imposée par Claude: désormais, Dag pourra vivre à la maison.
UN PROTOTYPE POUR LES AUTRES RÉCITS
Le Trésor de l’île est exemplaire de la technique romanesque d’Enid Blyton. En suivant quasi exclusivement l’ordre objectif des événements et en se focalisant sur un seul point de vue – celui des Cinq quand ils sont ensemble, celui d’un des protagonistes lorsqu’il agit séparément ou parfois celui de ceux qui attendent le retour de celui qui agit –, la narration place le lecteur toujours au coeur de l’action. Ce dernier est tenu en haleine par la multiplication des obstacles surmontés par les Cinq. Les événements sont imbriqués les uns dans les autres, à l’instar des fameux coffrets du Trésor de l’île; et la manière dont les enfants retournent les situations en leur faveur contribue à flatter les jeunes lecteurs.
Ce premier récit fournit le prototype narratif de la série. Toutes les histoires commencent par un prélude qui précise l’occasion qui réunit les Cinq le plus souvent au Kirrin cottage (ou à la villa des Mouettes) : en général le début des vacances avec, outre le plaisir pour les enfants de reconstituer le Club des Cinq, des perspectives alléchantes comme la randonnée, le camping ou les sports d’hiver. Une fois le décor planté, l’action commence en général par la découverte d’un certain nombre de faits à élucider : présence insolite de deux forains (Le Club des cinq [LCdC] et les Saltimbanques, n° 5) ou de gitans (LCdC et les Gitans, n° 9), éléments mystérieux liés à un lieu, à des comportements suspects, à des phénomènes étranges, comme les trains fantômes ou une simple prémonition. L’enquête conduit généralement les enfants à rencontrer des ennemis menaçants. Les Cinq sont ensuite amenés à confondre les auteurs de divers méfaits : trafic d’objets volés (LCdC et les Saltimbanques), d’oeuvres d’art (LCdC et le Secret du vieux puits, n° 20), enlèvement ou séquestration d’un enfant (LCdC contre-attaque, n° 3 ; LCdC se distingue, n° 15), d’un savant (LCdC en roulotte,n° 11), d’aviateurs pour motif d’espionnage (LCdC et les Papillons, n° 16), d’une vieille dame dans le cadre de l’exploitation illicite d’un métal radioactif dans (LCdC aux sports d’hiver, n° 17).
Le récit met en valeur l’ingéniosité et la détermination des enfants – agissant le plus souvent seuls jusqu’au dénouement –, supérieures à celle des adultes, vertus qu’ils doivent au fait de former un groupe uni, un « club ». C’est cette structure narrative réitérée qui crée l’effet de série et que le jeune lectorat aspire à retrouver d’histoires en histoires. Pour autant, Enid Blyton ne réécrit pas toujours la même histoire, elle sait introduire des variantes et les combiner avec soin. On ne saurait donc donner raison au regretté Marc Soriano qui voyait dans les oeuvres Enid Blyton « une littérature de série complètement vide de contenu 2».
UN FILON INÉPUISABLE ?
Après la mort d’Enid Blyton (1968), Hachette s’attacha à exploiter le filon. Déjà, l’auteure avait elle-même repris le procédé des aventures d’un groupe d’enfants en créant, en 1949, la série The Secret Seven (Le Clan des Sept) version simplifiée du Club des Cinq. Ayant racheté les droits, les éditions demandèrent à Claude Voilier, l’une des traductrices françaises, d’écrire vingt-quatre volumes supplémentaires. Ce qu’elle fit de 1971 à 1985, faisant évoluer les Cinq aux quatre coins du monde. Dans les années 2000, de nouvelles traductions et adaptations réduites de la série, supposées mieux convenir à des générations censées être moins enclines à la lecture virent le jour dans une collection modernisée paradoxalement appelée : « Les classiques de la bibliothèque rose ». Les nostalgiques des anciennes versions y ont vu le symptôme de la baisse du niveau du lectorat plutôt que la confirmation du succès d’une série qui les avaient enchantés jadis [voir encadré]. De fait, le vert paradis des lectures enfantines semble avoir perdu un peu de son charme suranné.
Enid Blyton, Le Club des Cinq et le Trésor de l’île, Hachette, « Bibliothèque rose», 1971. Toutes les autres citations proviennent de cette édition.
Marc Soriano, Guide de littérature pour la jeunesse, Flammarion, 1975.