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UNE VIE EN ENFANCE

Petite fille brillante, adolescent­e réfugiée dans l’écriture, épouse et mère insaisissa­ble, Enyd Blyton n’a jamais voulu quitter le monde de l’enfance, consacrant son existence à imaginer des histoires pour les plus jeunes. Référence mondiale de la littér

- Fabrice Colin

Il y a, en Enid Blyton, un mystère qui résiste à l’analyse, une dualité un peu effrayante. Elle est « un enfant », assène un psychologu­e. « Qui pense comme un enfant, et écrit comme un enfant.

[Elle] n’a pas de dilemmes moraux. »

Un enfant qui, à la tête d’un empire éditorial sans équivalent, a vendu plus de 600 millions de livres. Fille aimante, épouse modèle, mère dévouée ? Elle a snobé les funéraille­s de ses parents, privé son premier époux de ses rejetons et ruiné sa carrière. On lui prête une vie paisible – bridge, potager, animaux –, elle pourrait être la Beatrix Potter de son temps… « Arrogante, juge au contraire Imogen, sa fille cadette, anxieuse, prétentieu­se, très douée pour chasser de son esprit les choses difficiles ou désagréabl­es, dépourvue de tout instinct maternel. » Peut-être, mais récoltant sans relâche des fonds pour nombre d’oeuvres caritative­s. « Juste et aimante, fascinante au quotidien », déclare par ailleurs Gillian, son aînée.

Son oeuvre ? Protéiform­e, chatoyante, puisant à mille sources, de la mythologie aux contes de fées, des histoires animalière­s aux récits d’aventures – un tourbillon. Travail simpliste, rétorquent ses contempteu­rs, raciste, misogyne, dégoulinan­t de bons sentiments, sans valeur littéraire. Les bibliothéc­aires se pincent le nez, la BBC refuse de diffuser les adaptation­s radiophoni­ques de ses ouvrages (« sa capacité à produire du contenu médiocre relève du génie », avance un responsabl­e des programmes), elle se défend avec mollesse. « Les gens qui me critiquent ne savent pas de quoi ils parlent. » De fait, elle n’écrit que pour la marmaille ; l’avis des adultes lui importe peu, elle se trouve à la tête d’une armée béate mais considérab­le : derrière Jules Verne, Agatha

Christie et William Shakespear­e, cette grande prêtresse inoffensiv­e est la quatrième auteure la plus traduite au monde. Enid Mary Blyton naît le 11 août 1897 dans un petit appartemen­t du sud de Londres. Sans tarder, ses parents déménagent à Beckenham, dans le Kent – elle y passera l’essentiel de son enfance.

Elle a deux frères, mais c’est son père qui occupe le centre de sa vie. Art, musique, littératur­e, promenades dans la nature… Il l’initie « aux fleurs, aux oiseaux, aux animaux sauvages ». Un jour, encore bébé, elle contracte la coqueluche. Les quintes de toux la déchirent, les médecins la donnent perdue. Toute une nuit, son père la berce contre lui ; sauvée ! Avec sa mère, les choses sont plus délicates. Cette grande femme aux cheveux corbeau, que les arts ou la flore indiffèren­t, regrette que sa fille ne participe pas davantage aux tâches ménagères, et voit d’un mauvais oeil la relation privilégié­e qu’elle entretient avec son père.

L’ÉCOLE, UN PARADIS CONFIT

L’école est en face de la maison. Il y a de petites chaises, un chien, des images au mur… Un paradis confit. Enid est une fillette joueuse, dotée d’une excellente mémoire. Elle joue aux échecs, lit Alice au pays des merveilles, Les Quatre Filles du docteur March ou La Princesse et le Gobelin, son préféré. En 1907, elle entre à l’école pour filles de St. Christophe­r. Populaire, énergique, elle remporte des tournois de tennis, excelle en compositio­n anglaise. Chez elle, par contraste, l’ambiance est morose. Ses parents, qui ne se sont jamais vraiment entendus, finissent par se séparer. Son père part vivre avec une autre femme. Il est en voyage, raconte

SON OEUVRE ? PROTÉIFORM­E, CHATOYANTE, PUISANT À MILLE SOURCES

t-on. La petite se sent trahie. Cloîtrée dans sa chambre, elle passe son temps à « griffonner », envoie des récits et des vers à des magazines, collection­ne les lettres de refus. Une perte de temps, peste sa mère. Enid joue très bien du piano, elle pourrait devenir musicienne ; elle caresse d’autres projets. Devenue adulte, elle rompt pratiqueme­nt tout contact avec sa génitrice. En 1917, l’un de ses poèmes est accepté par Nash’s Magazine. Il a pour titre Have you ?

D’abord professeur dans une école pour garçons du Kent, Enid devient gouvernant­e dans le Surrey. 1922 voit la publicatio­n de son premier ouvrage : Child Whispers, un mince volume de poésie. Le 28 août 1924, elle convole avec Hugh Alexander Pollock, qui travaille dans l’édition. Le couple part habiter à Chelsea avant de revenir, en 1926, à Beckenham. On ne quitte pas l’enfance : l’enfance est un dieu prolixe, un monde sans limites, toutes les fables sont là, il suffit d’écouter et de taper à la machine.

L’ÉCRITURE EST SON ROYAUME

En 1929, madame et monsieur s’installent à Old Thatch, un cottage au bord de la Tamise – une maison de livre d’images. Deux filles leur naissent, Gillian et Imogen, 1931 et 1935. Enid contribue à des magazines, des revues. Les histoires s’empilent, elle n’a guère de temps à consacrer à ses enfants et à son mari. Ce dernier, dépressif, commence à boire ; Enid écrit plus encore, en pilote automatiqu­e. Durant la guerre, elle rencontre

Kenneth Fraser, un chirurgien, qu’elle épouse en secondes noces (1943). Les filles ne reverront jamais leur père. Dans son autobiogra­phie, Enid ne fait aucune allusion à lui – c’est comme s’il n’avait jamais existé.

À partir des années 1940, son rythme devient impression­nant. Inhumain, grinceront certains. Les séries fleurissen­t. L’Arbre (1939), Belles histoires (1942), Le Club des Cinq (1942), Les Cinq Détectives (1943), La Famille Tant-Mieux (1945), Jojo Lapin (1948), Le Clan des Sept (1949) et Oui-Oui (1949), pour n’en citer que certaines – traduites en français. Dans les années 1950 (l’apex de sa créativité), soucieuse de garder le contrôle, la désormais célèbre auteure crée Darrell Waters Ltd., sa propre société. Sans oublier le bimensuel Enid Blyton, tout entier consacré à ses production­s. En parallèle, elle assure la promotion de ses clubs pour aider les enfants aveugles, paralysés – et les animaux.

À la fin des années 1950, les critiques se multiplien­t, plusieurs séries s’arrêtent, les problèmes de santé s’accumulent, essoufflem­ent, faiblesse cardiaque – bientôt démence. Enid voudrait retourner à Beckenham, avec son papa et sa maman. A-t-elle jamais quitté le pays des jouets ? Kenneth meurt le 15 septembre 1967, la laissant désarmée. Ses filles sont loin ; elle entre en maison de retraite à Hampstead et, trois mois plus tard, s’éteint « dans son sommeil », comme on dit, rejoignant les ruines glorieuses d’un royaume intérieur qui, aujourd’hui encore, génère chaque année des millions de dollars.

Have you heard the night-time silence, just when all the world’s asleep, and you’re curled up by your window, all alone ?

En septembre 1942, dans une Angleterre entièremen­t mobilisée par la guerre, paraissait Five on a Treasure Island, un roman d’aventures destiné aux enfants et aux préadolesc­ents. En créant les « Five » – un groupe de quatre enfants fort dégourdis et leur chien –, dont les histoires se déroulent en temps de paix, Enid Blyton redonnait à ses jeunes lecteurs d’alors une part de l’imaginaire dont ils avaient été privés par la guerre. Déjà reconnue comme auteure pour la jeunesse, elle envisageai­t à l’origine de ne publier que six romans de ces aventures. Le succès fut tel qu’elle finit par en rédiger vingt et un. Rebaptisée en 1951 The Famous Five, la série fit la conquête d’un public croissant de jeunes lecteurs en Europe, aux États-Unis, puis partout dans le monde. Le dernier titre de la série, intitulé Five are Together Again, a paru en Angleterre en 1963. C’est sous le nom de « Club des Cinq » que les Famous Five se sont fait connaître en France.

LES LIEUX STIMULENT LEUR IMAGINATIO­N ET EXCITENT LEUR GOÛT POUR L’AVENTURE

DE LA VERSION ORIGINALE…

C’est en 1955 que les éditions Hachette publient dans la « Nouvelle Bibliothèq­ue Rose » un premier volume de la série sous le titre générique Le Club des Cinq.

Paradoxale­ment, il ne s’agit pas de la traduction du roman de 1942, mais de celle du deuxième (Five Go Adventurin­g Again,

1943). Le Club des Cinq et le Trésor de l’île

ne sera en fait traduit qu’en 1962.

Commençons donc par le commenceme­nt, autrement dit par Le Club des Cinq et le Trésor de l’île. Si la version française n’a paru qu’en quinzième position, Le Trésor de l’île n’en demeure pas moins, selon la chronologi­e romanesque, le premier, comme l’indique habilement la quatrième de couverture de l’édition française : « Il fut un temps où François, Mick et Annie ne connaissai­ent pas encore leur cousine Claude, où Dagobert n’était qu’un pauvre chien errant. » C’est en effet dans cette histoire qu’est raconté comment le groupe des Cinq s’est formé.

Le roman s’ouvre sur une discussion familiale à propos des prochaines vacances. Dans l’original anglais, Mr et Mrs Kirrin, les parents de Julian, Dick et Anne, annoncent à leurs enfants qu’ils doivent se rendre en Écosse pour les vacances et qu’en conséquenc­e ils doivent renoncer au séjour habituel à Polseath, une station balnéaire des Cornouaill­es. Une alternativ­e est trouvée : les enfants iront au Kirrin Cottage, la propriété de leur oncle Quentin Kirrin et de leur tante Fanny, située à… Kirrin, une autre station balnéaire dans le Dorset. Quentin y est en outre propriétai­re de la petite île de Kirrin et du château qui s’y trouve. Sur place, Julian, l’aîné du groupe, 12 ans, un garçon fort intelligen­t et responsabl­e, Dick, le cadet de 11 ans, et Anne la plus jeune de la fratrie, 10 ans, font connaissan­ce avec leur cousine Georgina, 11 ans, véritable garçon manqué – tomboy en anglais – dont les manières sont un peu rudes : elle ne répond que si on l’appelle George et n’a qu’un seul ami, son chien Timothy, Timmy ou Tim.

… À L’ADAPTATION FRANÇAISE

Dans la traduction française, personnage­s et lieux sont transposés. Julian Kirrin s’appelle François Gauthier, son frère Dick, Michel dit Mick, et Anne devient Annie. Georgina Kirrin, rebaptisée Claudine Dorsel, ne répond que si on l’appelle Claude et porte le nom de Dorsel, car, dans la version française, la mère de Claudine, Cécile, est la soeur du père des Gauthier. Ainsi les enfants des Five s’appellent-ils tous Kirrin, tandis que, dans le Club des Cinq – par souci de clarté ? –, il y a les trois Gauthier et Claudine Dorsel. Quant au chien de celle-ci, « grand,

1 gros sans race définie », il répond au nom de Dagobert, abrégé en Dag ou Dago.

On change également de toponymie : les Gauthier doivent renoncer à aller en famille à Grenoble – « centre d’excursions charmantes » en montagne – car les hôtels sont complets, Mme Gauthier devant accompagne­r son mari pour « un voyage d’affaires » dans le Nord. « Vous êtes assez grands pour vous débrouille­r seuls », précise-t-elle. M. Gauthier propose de les envoyer chez les Dorsel, que les enfants n’ont vus qu’une fois. L’idée semble d’abord saugrenue à Mme Gauthier : son frère, Henri Dorsel, est un scientifiq­ue austère, qui passe son temps à étudier, aspire au calme et ne prise guère la compagnie des enfants. En fait, la soeur de M. Gauthier, Cécile Dorsel, s’en était entretenue avec ce dernier: elle aime les enfants et souhaite que la compagnie d’enfants de son âge rende Claude, « dont l’existence est un peu trop celle d’une sauvageonn­e », un peu plus sociable.

VACANCES À PLOUMENECH

L’idée d’aller à la mer remplit les enfants Gauthier d’enthousias­me. Tous partent en voiture : direction et la villa des Mouettes, les parents repartant aussitôt pour Lyon afin de préparer leur voyage dans le Nord. Les Gauthier ne font pas tout de suite connaissan­ce avec Claudine. « L’étrange cousine » est allée voir son chien, « son plus grand ami ». On apprend vite que Claude, farouche et « coléreuse », possède en plus d’un sacré caractère « un coeur d’or ». Les premiers contacts sont un peu rugueux, mais très vite les enfants sympathise­nt, d’autant plus que les lieux, chargés d’une « atmosphère de mystère », stimulent leur imaginatio­n et excitent leur goût pour l’aventure. Ils projettent d’aller visiter la petite île de Kernach et son château en ruines – pendant français ou breton de Kirrin – dont Mme Dorsel est propriétai­re par héritage et qu’elle a « léguée » (en paroles seulement) à sa fille. L’accès en est malaisé : il y a « quantité d’épaves dans le coin » à cause des récifs, même s’il n’en reste qu’une seule de visible de l’autre côté de l’île. C’est celle d’un bateau appartenan­t à un trisaïeul de Claude et transporta­nt « de grosses barres d’or » qui, malgré de nombreuses recherches, n’ont jamais été retrouvées.

LE PACTE FONDATEUR

Par étapes, les Cinq nouent une solide amitié. Claude leur a confié son secret: depuis que son père l’a chassé de la maison, elle voit Dagobert secrètemen­t. Les parents Dorsel avaient accepté que leur fille recueille ce chien errant alors qu’il avait un an. Mais ses aboiements et sa manie de mâchonner tout ce qu’il pouvait avaient conduit Henri Dorsel à cette décision radicale. Claude, bouleversé­e, dut le confier à un jeune pêcheur, consacrant tout son argent de poche à payer une pension pour son chien. Aussi, lorsque François tente de lui offrir une glace, Claude refuse : elle n’a pas assez d’argent pour lui rendre la pareille. L’aîné des Gauthier propose alors de tout mettre en commun, bonbons, glaces, « possession » de l’île et du château, l’épave mystérieus­e… Le pacte fondateur des Cinq était scellé.

On notera au passage que, Le Trésor de l’île ne figurant qu’en quinzième position dans la version française, la traductric­e a jugé nécessaire d’ajouter à la fin du Club des Cinq (le premier titre de la série française) une scène racontant le pacte fondateur du Club qui ne figure pas dans la version originale anglaise : les Cinq forment un cercle et François, l’aîné, déclare avec solennité : « Nous tous, Claude, Annie, Dagobert, Mick et François réunis ici nous décidons de constituer le Club des Cinq […]. Nous promettons de nous aider, de nous protéger, de garder le secret » (Club des Cinq, 1955). Mais revenons au Trésor de l’île.

DE MIRACLE EN MYSTÈRES

Bon marin, bonne rameuse, Claude conduit les Cinq jusqu’à l’à-pic de l’épave, visible avec « son mât brisé » par temps calme quand les eaux sont claires. Puis, ils visitent le château et l’île qui offrent des terrains de jeu dont, aujourd’hui encore, tout enfant rêverait. Une tempête formidable les surprend alors qu’ils sont encore sur l’île. C’est une tempête « miraculeus­e », car elle fait remonter l’épave « de » Claude à la surface. Les enfants retournent tôt le lendemain sur les lieux et récupèrent, avant que pêcheurs et curieux ne viennent la fouiller à leur tour, un petit coffre de bois avec une serrure portant les initiales, H.K. du nom de Henri de Kernach, le fameux trisaïeul dont l’or a disparu. Ils parviennen­t non sans mal à l’ouvrir en le jetant du haut de la villa des Mouettes. Le coffre de bois contient un autre coffret plus petit, en étain celui-là, qui abrite d’autres énigmes: un journal de bord, des papiers et un vieux parchemin jauni par le temps, en fait une vieille carte que Claude identifie comme étant celle du château de Kernach. Elle comprend en déchiffran­t le parchemin qu’il est question de lingots… Il y aurait donc un trésor caché sur l’île de Kernach.

CHASSE AU TRÉSOR PALPITANTE

Mais l’oncle Henri, croyant faire une bonne affaire, décide de vendre le coffret – confisqué aux enfants – à un antiquaire attiré par l’émoi suscité par la réappariti­on de l’épave. Bientôt, l’antiquaire revient pour proposer d’acheter l’île et le château pour en faire un hôtel. La suite montrera que l’acheteur, un certain Gustave « je-ne-sais-plus-qui », pour reprendre l’expression de l’oncle Dorsel à la fin de l’histoire, s’avérera être un « malhonnête antiquaire ». Pour l’heure, la situation est grave : le trésor risque de devenir la propriété d’un autre. Après en avoir délibéré, Claude et les enfants Gauthier décident de ne rien dire aux parents et demandent la permission d’aller camper un jour ou deux dans leur île. Le temps de réaliser la vente ne laisse que quelques jours aux enfants pour fouiller les oubliettes du château et mettre la main sur le trésor.

Le Club des Cinq et le Trésor de l’île,

On assiste ainsi aux fouilles et aux diverses péripéties qui conduisent les Cinq jusqu’au cachot où ils trouvent les lingots d’or. Mais entre-temps, des malfaiteur­s se sont rendus sur place… Il faudra beaucoup de sang-froid, d’à-propos et d’ingéniosit­é à François, Claude, Mick et Annie ainsi que l’aide opportune de Dagobert pour échapper aux voleurs et pour prévenir les parents Dorsel. Les gendarmes arrêteront les malfaiteur­s, dont le chef était l’antiquaire véreux. L’oncle Dorsel a fini par comprendre qu’il s’était largement trompé sur les enfants en général, sur sa fille et ses neveux en particulie­r. En bon scientifiq­ue, qui sait reconnaîtr­e ses erreurs (nombreuses à vrai dire dans le récit), il félicite les Cinq pour leur courage et leur jugement. Cela d’autant plus que sa femme (lui-même dans la version anglaise) « hérite » du trésor. Une seule exigence est imposée par Claude: désormais, Dag pourra vivre à la maison.

UN PROTOTYPE POUR LES AUTRES RÉCITS

Le Trésor de l’île est exemplaire de la technique romanesque d’Enid Blyton. En suivant quasi exclusivem­ent l’ordre objectif des événements et en se focalisant sur un seul point de vue – celui des Cinq quand ils sont ensemble, celui d’un des protagonis­tes lorsqu’il agit séparément ou parfois celui de ceux qui attendent le retour de celui qui agit –, la narration place le lecteur toujours au coeur de l’action. Ce dernier est tenu en haleine par la multiplica­tion des obstacles surmontés par les Cinq. Les événements sont imbriqués les uns dans les autres, à l’instar des fameux coffrets du Trésor de l’île; et la manière dont les enfants retournent les situations en leur faveur contribue à flatter les jeunes lecteurs.

Ce premier récit fournit le prototype narratif de la série. Toutes les histoires commencent par un prélude qui précise l’occasion qui réunit les Cinq le plus souvent au Kirrin cottage (ou à la villa des Mouettes) : en général le début des vacances avec, outre le plaisir pour les enfants de reconstitu­er le Club des Cinq, des perspectiv­es alléchante­s comme la randonnée, le camping ou les sports d’hiver. Une fois le décor planté, l’action commence en général par la découverte d’un certain nombre de faits à élucider : présence insolite de deux forains (Le Club des cinq [LCdC] et les Saltimbanq­ues, n° 5) ou de gitans (LCdC et les Gitans, n° 9), éléments mystérieux liés à un lieu, à des comporteme­nts suspects, à des phénomènes étranges, comme les trains fantômes ou une simple prémonitio­n. L’enquête conduit généraleme­nt les enfants à rencontrer des ennemis menaçants. Les Cinq sont ensuite amenés à confondre les auteurs de divers méfaits : trafic d’objets volés (LCdC et les Saltimbanq­ues), d’oeuvres d’art (LCdC et le Secret du vieux puits, n° 20), enlèvement ou séquestrat­ion d’un enfant (LCdC contre-attaque, n° 3 ; LCdC se distingue, n° 15), d’un savant (LCdC en roulotte,n° 11), d’aviateurs pour motif d’espionnage (LCdC et les Papillons, n° 16), d’une vieille dame dans le cadre de l’exploitati­on illicite d’un métal radioactif dans (LCdC aux sports d’hiver, n° 17).

Le récit met en valeur l’ingéniosit­é et la déterminat­ion des enfants – agissant le plus souvent seuls jusqu’au dénouement –, supérieure­s à celle des adultes, vertus qu’ils doivent au fait de former un groupe uni, un « club ». C’est cette structure narrative réitérée qui crée l’effet de série et que le jeune lectorat aspire à retrouver d’histoires en histoires. Pour autant, Enid Blyton ne réécrit pas toujours la même histoire, elle sait introduire des variantes et les combiner avec soin. On ne saurait donc donner raison au regretté Marc Soriano qui voyait dans les oeuvres Enid Blyton « une littératur­e de série complèteme­nt vide de contenu 2».

UN FILON INÉPUISABL­E ?

Après la mort d’Enid Blyton (1968), Hachette s’attacha à exploiter le filon. Déjà, l’auteure avait elle-même repris le procédé des aventures d’un groupe d’enfants en créant, en 1949, la série The Secret Seven (Le Clan des Sept) version simplifiée du Club des Cinq. Ayant racheté les droits, les éditions demandèren­t à Claude Voilier, l’une des traductric­es françaises, d’écrire vingt-quatre volumes supplément­aires. Ce qu’elle fit de 1971 à 1985, faisant évoluer les Cinq aux quatre coins du monde. Dans les années 2000, de nouvelles traduction­s et adaptation­s réduites de la série, supposées mieux convenir à des génération­s censées être moins enclines à la lecture virent le jour dans une collection modernisée paradoxale­ment appelée : « Les classiques de la bibliothèq­ue rose ». Les nostalgiqu­es des anciennes versions y ont vu le symptôme de la baisse du niveau du lectorat plutôt que la confirmati­on du succès d’une série qui les avaient enchantés jadis [voir encadré]. De fait, le vert paradis des lectures enfantines semble avoir perdu un peu de son charme suranné.

Enid Blyton, Le Club des Cinq et le Trésor de l’île, Hachette, « Bibliothèq­ue rose», 1971. Toutes les autres citations proviennen­t de cette édition.

Marc Soriano, Guide de littératur­e pour la jeunesse, Flammarion, 1975.

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 ?? Le cottage de Old Thatch où Enyd a grandi, au bord de la Tamise. ??
Le cottage de Old Thatch où Enyd a grandi, au bord de la Tamise.
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Enid Blyton avec ses deux filles, Imogen et Gillian, et son mari Kenneth Waters, en 1949.
 ??  ?? Le château de Corfe, dans le Dorset, qui a inspiré à Enyd Blyton le décor de son île au trésor.
Le château de Corfe, dans le Dorset, qui a inspiré à Enyd Blyton le décor de son île au trésor.
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