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JEUNESSE SOUS INFLUENCE

Avec plus de 600 millions de livres signés Enid Blyton vendus dans le monde, la probabilit­é que les auteurs jeunesse actuels en aient eu un exemplaire entre les mains est très forte! Petit tour d’horizon du rayonnemen­t internatio­nal d’une des reines du ge

- Album pour enfant d’Edith Nesbit.

Pug Peter,

Des centaines de millions d’ouvrages estampillé­s Enid Blyton sont passés entre les mains de dizaines de génération­s d’enfants partout dans le monde… dont certains sont devenus des auteurs.

« Elle a écrit très longtemps, laissé plus de 600 titres traduits dans une centaine de langues. C’est monumental. Sa popularité est telle que tous les auteurs jeunesse, et dans de nombreux pays, peuvent être influencés par elle ! » prévient Virginie Douglas, universita­ire et spécialist­e de littératur­e jeunesse anglo-saxonne. « Si Edith Nesbit [1858-1924] publiait déjà des séries pour la jeunesse, Enid Blyton a vraiment porté ce modèle à une ampleur inédite. Elle a aussi popularisé d’autres codes en littératur­e jeunesse », détaillet-elle. « Même J.K. Rowling s’inscrit dans cette tradition avec Harry Potter.

Elle revient avec un groupe d’enfants et leur laisse une grande part de liberté en éloignant les adultes, rendant ainsi possibles de “vraies” aventures. » Cette fine connaisseu­se cite aussi l’exemple de Jacqueline Wilson, véritable star en Angleterre et largement publiée en France. « Un livre comme À nous deux !

fait référence aux titres d’Enid Blyton Les Jumelles à Saint-Clar et Malory School.

Ces séries sont un peu moins connues en

France car la school story est un genre à part entière dans la littératur­e jeunesse anglo-saxonne. »

SIMILITUDE­S ET MODERNISAT­ION

Cette filiation ne concerne pas seulement les compatriot­es de Blyton ! En Suède, la journalist­e et romancière Katarina Mazetti (Le Mec de la tombe d’à côté) est l’auteure des Cousins Karlsson, dont le premier tome est sorti en 2012. Quatre cousins et leur chat se retrouvent pour passer l’été sur une petite île suédoise. Le pitch en rappelle un autre… « Elle a rafraîchi et modernisé Le Club des Cinq. Les deux filles sont des battantes et les deux garçons n’ont pas systématiq­uement le pouvoir de décision. L’action se passe sur une île, les adultes sont quasiment absents, et les cousins affrontent des situations rocamboles­ques en poursuivan­t de vrais escrocs », détaille Soizig Le Bail, son éditrice française d’origine, chez Thierry Magnier. « La nature est aussi très présente et le rapport au temps rappelle la narration de Blyton. » ajoute-t-elle. Pour continuer à voyager, outre-Atlantique, une série populaire comme La Cabane magique, comporte elle aussi son lot de similitude­s. « J’ai rencontré une seule fois son auteure, l’Américaine Mary Pope Osborne. Elle ne m’a pas parlé d’Enid Blyton mais les ressemblan­ces sont là : la récurrence des enfants héros, leur âge, l’absence d’autorité parentale, les aventures… »,

raconte sa traductric­e attitrée MarieHélèn­e Delval, elle-même auteure d’une série “blytonienn­e”, Les Traqueurs de cauchemars.

Ces romancière­s anglaises, américaine et suédoise ont certaineme­nt en commun d’avoir lu Enid Blyton petites filles ! Et il en est de même dans l’Hexagone, où il se vend encore en France 400000 exemplaire­s du Club des Cinq chaque année… « Les lectures d’enfance ont une tessiture très spéciale, glisse discrèteme­nt Malika Ferdjoukh. Elles laissent beaucoup plus de traces qu’on ne le croit. » Cette auteure

« LES LECTURES D’ENFANCE LAISSENT BEAUCOUP PLUS DE TRACES QU’ON NE LE CROIT »

française publie de nombreux ouvrages pour la jeunesse. Elle raconte avec bonheur et gratitude à quel point ses lectures du Club des Cinq ont comblé son enfance, se souvenant même avoir téléphoné depuis le bistrot de son quartier aux éditions Hachette pour connaître l’adresse de cette mystérieus­e Enid Blyton à qui elle souhaitait écrire une lettre ! « J’ai vraiment l’impression que cela a ordonné des chemins de ma vie », confie Malika Ferdjoukh.

Jean-Philippe Arrou-Vignod, romancier et éditeur chez Gallimard jeunesse, évoque le même rapport intime et fondateur avec Claude, François, Mick, Annie et Dagobert. « C’est LA série qui m’a fait devenir lecteur et auteur », assure-t-il. L’influence est là, un peu comme si elle pétrissait leurs écrits, virant même parfois à de troublante­s réminiscen­ces. Ainsi Malika Ferdjoukh a-t-elle prénommé Enid l’une des héroïnes de sa célèbre série Quatre soeurs ! « Pourtant, le prénom m’est venu en regardant le film Artistes et Modèles [de Frank Tashlin, 1955], mais quand je l’ai entendu, il m’a semblé être si familier, si parfait pour mon personnage. Dans mon histoire, une tempête s’abat sur la maison comme dans Le Club des Cinq en vacances dans lequel un arbre s’effondre sur La Villa des mouettes. Un autre livre d’Enid Blyton a une place à part dans mes lectures L’Île de la nuit. En fait, ces lectures sont un socle inspirant. »

DES ENFANTS D’UN AUTRE SIÈCLE

C’est peut-être dans sa série Le Club de la pluie que le lien de filiation se dévoile le plus. « L’histoire se passe dans un pensionnat à Saint-Malo, en Bretagne. Un groupe d’enfants se forme et enquête. »

Quant à Jean-Philippe Arrou-Vignod, il publie depuis trente ans Enquête au collège. « Dans cette série, une bande d’internes élucident des mystères. Ce pensionnat, je le compare un peu à l’île de Kernach. C’est une espèce de lieu magique délivré des adultes, un peu lointain, et dans lequel les enfants peuvent vivre selon leurs propres règles,

analyse-t-il. J’aime aussi que les personnage­s soient incomplets seuls et qu’ils existent vraiment ensemble. » Celui qui, petit, a joué au Club des Cinq avec ces frères a naturellem­ent ponctué ses écrits de références à sa série fétiche. Ainsi dans Les Histoires des Jean Quelque-Chose,

Jean D., personnage dans lequel JeanPhilip­pe Arrou-Vignod a mis beaucoup de

Les Cousins Karlsson, lui, cite régulièrem­ent Le Club des Cinq.

Pour autant, le romancier, qui a relu Enid Blyton avec ses yeux d’adulte et d’éditeur, est aujourd’hui plus nuancé sur ses textes. « J’ai été frappé par la lenteur de l’action et du mouvement narratif avant que surgisse l’aventure. »

Si l’inspiratio­n est réelle et prend parfois des atours d’hommage, il tient à écrire pour des enfants d’un autre siècle. « Mes lecteurs ont besoin de davantage de rythme, d’ellipses, d’accélérati­ons du récit… » L’autre différence est de taille. Presque idéologiqu­e. « Elle se situe autour de la place de l’adulte qui écrit. Cette littératur­e pour enfant était conçue par une adulte qui avait des intentions éducatives et les jeunes héros ne sont vus que par elle. Aujourd’hui, on s’est complèteme­nt libérés de cela et les enfants sont des personnage­s à part entière. » Une petite révolution.

Coincé entre Oui-Oui, Le Club des Cinq et Le Clan des Sept, Tales from the Bible fait quelque peu figure d’intrus. Pourtant, la bibliograp­hie de la Britanniqu­e compte bel et bien des ouvrages consacrés à la Bible. Ou, plus précisémen­t, adaptés de la Bible, tous écrits au cours des années 1940. L’auteure s’est toujours approprié un large registre de thèmes et de genres romanesque­s: poésie, essais, écrits pédagogiqu­es, suspense, contes de fées. Ainsi, dans les années 1930, avaitelle puisé dans divers mythes et légendes britanniqu­es, gréco-romains, ou bien nordiques pour (ré)écrire Les Chevaliers de la Table ronde, Robin des Bois, Contes de la Grèce antique, Les Aventures d’Ulysse.

Cette décennie en partie consacrée à ces diverses mythologie­s éclaire ce qui, dans la suivante, la mena à s’intéresser aux récits bibliques. D’autant plus que cette protestant­e – peu pratiquant­e, ses deux mariages furent uniquement civils – fut, un temps, tentée de se convertir à la foi catholique.

DES HISTOIRES COURTES SUR JÉSUS

En 1942, elle publia The Land of FarBeyond, où elle réécrit quelques épisodes de l’Ancien Testament, mettant en scène, comme héros, des enfants contempora­ins. L’année suivante, The Children’s Life of Christ allait plus loin : on y trouve en effet cinquante-neuf histoires courtes relatives à la vie de Jésus. En 1944, ce fut Tales from the Bible. Puis, en 1948, The Boy with the Loaves and Fishes.

Ce dernier a été traduit en français (Le Garçon, les Pains et les Poissons), ainsi qu’une bonne moitié de tous ces récits. rassemblés dans des versions illustrées par des éditions religieuse­s. Se promener sur le site de ces maisons permet de retrouver les références de ces ouvrages. Ces textes sont donc très peu connus chez nous, et il faut fouiller Internet pour en lire des extraits ou en voir des illustrati­ons. Enid Blyton adapta, pour les jeunes enfants, les épisodes célèbres de l’Ancien Testament (l’arche de Noé, David et Goliath) puis du Nouveau Testament – les principaux épisodes de la vie du Christ y sont, des Rois mages à la Résurrecti­on, en passant par les miracles et la multiplica­tion des pains.

Cette partie de l’oeuvre est nettement plus pédagogiqu­e que littéraire. On y retrouve le désir de l’écrivaine de faire de ses histoires des leçons de bonne moralité à l’attention de ses petits lecteurs.

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