JUSTE UNE ILLUSION
Si j’en crois un récent texte du Net au sujet d’Enid Blyton, il s’agirait pour l’heure de déboulonner sa statue. Je n’ai rien contre le déboulonnage des statues. Encore faut-il que statue il y ait. Comprenons-nous : loin de moi le désir de me livrer à la défense et à l’illustration des mérites d’Enid Blyton. C’est plutôt le contraire. Mais quand je lis, sous la plume de cette rédactrice du Net, un rapprochement entre Enid Blyton et la comtesse de Ségur, les bras m’en tombent. On peut ne pas aimer ou critiquer les oeuvres de la comtesse de Ségur précisément parce qu’on peut parler d’oeuvre. Dans le cas d’Enid Blyton, j’ai plutôt envie de paraphraser Revel, disant que ses écrits n’atteignent pas le niveau qui autoriserait à en dire du mal.
J’avais 9 ans quand j’ai vu l’une de mes amies, à l’école, lire un album du Club des Cinq. Je lui ai demandé si c’était bien. Sa réponse m’a laissée perplexe : « Oui ! Ce livre m’a appris le mot “corridor”. » Le mot « corridor » me laissant assez indifférente, j’ai pensé m’épargner cette lecture. Mais je l’ai lu quand même.
Eh bien, si je ne l’avais pas lu, cela n’y aurait rien changé. J’ai un souvenir plutôt précis des livres que j’ai lus pendant mon enfance, sauf des deux ou trois histoires du Club des Cinq que j’ai déchiffrées à l’époque. Faites le test: si vous avez lu un Club des Cinq quand vous aviez l’âge (ou même après), êtes-vous capable de raconter précisément ce qui s’y passe? C’est du sable qui coule entre les doigts. On vous présente comme une enquête une vague démarche qui ne mérite pas ce nom, on vous vante des vertus d’esprit d’équipe qui n’y sont d’aucune utilité. C’est du néant déguisé en mouvement. Les couvertures participent à cette illusion : on y voit toujours les quatre enfants et le chien Dagobert pris dans un élan. Ils courent. Si on s’aventure à lire l’épisode, le lexique du dynamisme et du déplacement se révèle pléthorique. Si on lit jusqu’au bout, force est de reconnaître que ce n’est pas la montagne qui accouche d’une souris, mais le monticule qui accouche d’un protozoaire. Se livrer à un examen idéologique du
Club des Cinq, c’est pousser l’art du soupçon dans ses retranchements les plus absurdes.
Enid Blyton, c’est aussi Oui-Oui, destiné aux tout-petits. C’est plutôt mieux. Si l’on compare le vide d’un Oui-Oui avec la vacuité d’un Club des Cinq, le premier me paraît plus sympathique. Le bonnet rouge et la voiture jaune y sont pour beaucoup, je pense. Plus tard, les Guignols de l’info créeront une version politique de Oui-Oui sous les traits du premier secrétaire du PCF, Robert Hue (« Oui-Oui au pays des idées »). Une façon
efficace de critiquer l’idéalisme béat de la gauche.
Au fond, Enid Blyton, c’est un grand message d’espoir à tout point de vue. D’abord parce qu’on peut bâtir un succès à ce point durable en librairies avec si peu de chose. Ensuite parce que cela n’a traumatisé personne.
Enfin, et surtout, pour cette conclusion que je tiens pour
imparable: en littérature jeunesse, tout ce que l’on a écrit avant Enid Blyton et tout ce qu’on écrira après Enid Blyton est et sera forcément supérieur. À une époque où il y a si peu de raisons de se réjouir, je trouve que ce constat vaut son pesant de cacahouètes.
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