POUR QUELQUES BOBARDS DE PLUS...
L’autofiction est décidément un terrain miné dont le dernier roman d’Emmanuel Carrère a fait les frais en pleine rentrée littéraire.
C’est l’histoire d’une citation jugée trop longue par les uns, suffisamment courte par les autres. Une citation à l’origine d’une controverse sentimentalo-littéraire, dont le microcosme germanopratin a le secret. L’accusé avançait pourtant masqué, ou plutôt « vêtu de probité candide et de lin blanc »: Yoga, qui aurait songé qu’un tel titre viendrait alimenter les rubriques people à coup d’ « ellipse narrative » ? L’année 2020 nous aura décidément réservé bien des surprises.
Rappel des faits: la journaliste Hélène Devynck publiait le 29 septembre dernier dans Vanity Fair un véhément (mais pour le moins confus) droit de réponse à l’encontre de son ex-conjoint, l’écrivain Emmanuel Carrère, l’accusant de l’avoir « utilisée » dans son dernier roman, Yoga, une autofiction racontant la dépression que l’écrivain a traversée en 2015, son internement psychiatrique et sa reconstruction, parallèlement à l’évocation de sa pratique du yoga.
En 400 pages, le prénom d’Hélène Devynck n’apparaît que par le biais d’une citation extraite d’un précédent roman de l’écrivain, D’autres vies que la mienne (2009). Une citation jugée « anormalement longue » par la journaliste, qui accuse son ex-conjoint de « ruse grossière » et de n’avoir pas respecté le contrat signé à la suite de leur séparation. Mais si le droit français peut sanctionner des textes susceptibles de porter atteinte à la vie privée, il ne punit pas encore – et c’est heureux – le manque d’élégance.
GONCOURT, LA CONTROVERSE
Une seconde controverse – un brin plus intéressante – s’est ensuite greffée à la première : Yoga a-t-il manqué le prix Goncourt en raison de ce déballage médiatique ? En dépit d’une enthousiaste réception publique et critique, l’ouvrage avait peu de chances de l’emporter, l’académie Goncourt récompensant un « ouvrage d’imagination en prose ». Ce que Yoga n’est pas, malgré le « recours à une part de fiction » évoqué par Frédéric Boyer, directeur des éditions P.O.L, en réponse aux accusations d’Hélène Devynck. « Emmanuel Carrère a été contraint de faire des mensonges par omission » et donc de recourir à cette fameuse « ellipse narrative ». Le plus cruel, dans cette affaire, réside ainsi dans le fait que, sans cette contrainte, sans ce contrat liant l’écrivain à son ex-épouse, Yoga, qui a nécessité un important travail de relecture et le conseil d’un avocat, aurait peut-être été moins profond et moins virtuose sans la menace qui planait sur sa parution.