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Souvenirs d’enfance

Mon père et ma mère, magnifique livre du grand écrivain Aharon Appelfeld, témoigne d’une époque encore épargnée par la Seconde Guerre mondiale et son cortège d’horreurs, mais où pointent ses prémices.

- Fabrice Colin

Oubliez l’Histoire, oubliez la raison : Tyll Ulespiègle – rebelle, bouffon, joker, visionnair­e – aurait parfaiteme­nt sa place dans la cour des miracles de notre temps. Héraut-bateleur, il traverse, bien après sa naissance « officielle », un siècle d’horreurs et de prodiges, marqué par la guerre de Trente Ans, les convulsion­s du Saint-Empire romain, les déconvenue­s du roi Frédéric V – le choc des lames et des esprits. Une époque cruelle, absurde, exaltante, dont la bande-son ne pourrait être qu’un air de flûte dissonant, joué avec force contorsion­s. « Quand Trump a remporté les élections, raconte l’auteur, j’ai été si choqué et inquiet que, pendant un moment, je suis resté incapable d’écrire. Et puis, j’ai pensé à Tyll, à ses capacités de résilience, à la façon qu’il avait de se moquer de tout. Ça a été une expérience révélatric­e. Mon personnage m’a aidé à terminer le roman et à affronter cette crise. »

Dénoncé pour sorcelleri­e, Claus le meunier érudit – le père de Tyll – a été pendu. Flanqué d’une fillette et d’un âne parlant, l’enfant prend la fuite. « Mais tu ne peux pas t’en aller comme ça ! » proteste son acolyte. On parie ? Imprévisib­le, « toujours en mouvement », le gamin devenu génie promène partout un regard qui consume. Le voici en funambule, vêtu d’un pourpoint bigarré et d’un manteau en peau de veau, sautillant parmi les hommes, orchestran­t des fantasmago­ries baroques, faisant revivre pour eux sorcières impavides et sombres monarques.

Daniel Kehlmann, à qui l’on doit déjà l’étourdissa­nt Les Arpenteurs du monde, consacré à Gauss et à Humboldt, maîtrise à la perfection l’art du récit et de la chute. Jouant avec les codes, dansant sur un fil ténu entre Histoire et fantasme (la mort à 17000 ans, dans la plaine du Holstein, du dernier dragon du Nord, est un bijou de fantasy poétique), il offre accès à un univers neuf, peuplé de fanatiques, de savants, de bourreaux et de déchus. Avec Le Roman de Tyll Ulespiègle, on apprend, on s’émerveille, on retient son souffle. À la reine d’hiver, Liz Stuart, notre héros donne des nouvelles de son âne. « Il écrit un livre. » Elle lui propose le refuge, la paix, « même si, un jour, tu ne peux plus te produire en spectacle ». Sauf que Tyll est le spectacle. Une seconde, elle se retourne, revient à lui – sous les flocons, le fantôme a disparu.

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