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DES POLITIQUES À L’AFFICHE

Comme le démontrent les succès des livres de Nicolas Sarkozy, Jean-Pierre Jouyet ou encore Alain Juppé, les mémoires de personnali­tés retirées des affaires de la Cité révèlent l’attrait des lecteurs pour les coulisses du pouvoir.

- Anne Laffeter

Écrire un livre est une figure imposée pour un politique. Emmanuel Macron s’était appuyé sur la sortie de Révolution­s pour lancer sa conquête. Mais, entre les 58 exemplaire­s vendus par Christine Boutin de Qu’est-ce que le Parti chrétien-démocrate et les 250 000 de Passions écoulés par Nicolas Sarkozy, il y a un monde: celui du carton d’édition. Sur ce terrain, l’ancien président fait jeu égal avec Houellebec­q, Nothomb et Levy. En réalité, les ouvrages de Boutin et de Sarkozy sont d’un genre bien différent: un livre programmat­ique pour l’une et les mémoires d’une figure politique pour l’autre. Jérôme Fourquet, politologu­e à l’Ifop, explique : « Les ouvrages politiques en forme de manifeste ne font pas recette à l’inverse des livres perçus comme historique­s. »

UNE STRATÉGIE POUR L’AVENIR

En cette fin d’année, trois ouvrages s’inscrivent dans cette veine. Dans Le Temps des tempêtes, 245 000 exemplaire­s vendus, selon sa maison d’édition, Nicolas Sarkozy revient sur ses premières années de présidence. Avec L’Envers du décor. Dans l’intimité de nos présidents, Jean-Pierre Jouyet, qui servit Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande avant d’être le mentor d’Emmanuel Macron, règle ses comptes avec le jeune président. Dans Mon Chirac. Une amitié singulière, Alain Juppé raconte le « couple politique original » formé avec Jacques Chirac. « Ce livre fait pour lui office de mémoire », précise Isabelle Bouche, directrice de la communicat­ion de Tallandier. « Le mémoire laisse une trace, on est dans l’histoire contempora­ine », observe Muriel Boyer, des éditions de L’Observatoi­re. « Annoncé comme condamné, le livre politique est paradoxale­ment devenu un élément central de communicat­ion pour des politiques comme François Fillon, François Hollande et Nicolas Sarkozy », ajoute Alexandre Wickham, directeur éditorial chez Albin Michel et éditeur de Jean-Pierre Jouyet. « Le livre est aujourd’hui le support de base du storytelli­ng politique, le moyen de décrypter le passé et de faire une stratégie pour l’avenir. » En 2016, Nicolas Sarkozy et son équipe s’appuient sur ses chiffres de « serial vendeur » pour se lancer dans la primaire de droite. « Ses succès en librairies ont été perçus comme la persistanc­e d’un lien fort avec l’électorat de droite », raconte Jérôme Fourquet. À tort : l’ancien président, battu en 2012, finira troisième du premier tour de la primaire derrière François Fillon et Alain Juppé.

DES QUINQUENNA­TS RICHES EN CRISES

Les livres politiques qui marchent sont écrits par des « ex ». Ici : un ex-président, l’ex-tête pensante du château et l’ancien bras droit loyal. « Les derniers quinquenna­ts ont été riches en crises variées, les lecteurs sont curieux de comprendre comment elles ont été gérées depuis l’intérieur », analyse Jérôme Fourquet. La crise économique de 2008 pour Sarkozy, le terrorisme sous Hollande, les rebondisse­ments des quinquenna­ts Chirac. « Les lecteurs veulent percer le mystère des coulisses du pouvoir, lire des témoignage­s d’hommes ayant vécu des tragédies », appuie

Muriel Beyer. « Ce genre de livre intéresse toujours le public, mais il est de plus en plus difficile de les faire et de les lancer, nuance Alexandre Wickham. La tolérance du milieu politique à la transparen­ce, à la restitutio­n d’une expérience originale diminue. C’est un milieu effrayé par la moindre autocritiq­ue, toute confidence, même anodine. »

Malgré leurs succès divers, ces ouvrages sont loin de détrôner le record de Valérie Trierweile­r pour Merci pour ce moment, avec plus de 600 000 exemplaire­s vendus.

Le 15 octobre, François Sureau a été élu à l’Académie française dans un fauteuil (c’est le cas de la dire). C’est dès le premier tour, avec 19 voix sur 27 et sans aucun bulletin blanc ni aucune croix, chose rare, que les immortels l’ont accueilli parmi eux. Sa place n’a-t-elle pas toujours été Quai Conti ?

DE VIEUX ANARCHISTE­S

Rappelons qu’en 1989 il publiait Garçon, de quoi écrire, un savoureux livre d’entretiens avec Jean d’Ormesson – peut-être celui où s’exprime le mieux l’esprit très xviiie siècle de d’Ormesson. Jean d’O avait alors pris le jeune Sureau sous son aile. En 1991, âgé de 34 ans, il recevait le Grand Prix du roman de l’Académie française pour L’Infortune. En 2004, il s’était présenté au fauteuil de Maurice Rheims : il avait été battu par Robbe-Grillet. Sans doute par dandysme, il avait alors fait sienne la célèbre maxime de l’un de ses maîtres, Bernanos : « Quand je n’aurai plus qu’une paire de fesses pour penser, j’irai l’asseoir à l’Académie. »

Il faut croire que les années ont fait évoluer cet esprit pascalien qui accorde plus de crédit aux grandeurs naturelles qu’aux grandeurs d’établissem­ent. En mai dernier, alors que nous l’interviewi­ons pour l’impression­nant L’Or du temps,

Sureau ne nous cachait pas que l’Académie le titillait. Son copain Marc Lambron a vendu la mèche dans Le Figaro, révélant qu’il lui avait « inculqué la fièvre verte »

dès décembre 2019 : « François était très partagé entre une forme d’intégrité solitaire et l’idée que, dans un temps de désintégra­tion symbolique, il y a de vieilles institutio­ns honorables qu’il faut sauvegarde­r. Il a compris que l’Académie, c’est une bande de vieux anarchiste­s qui se déguisent en vert et qu’il y a sa place ; mais aussi que, ce qui serait immodeste, au fond, ce serait de se placer au-dessus en le refusant. »

UN LOOK D’ARISTO ANGLAIS

On ne le dit jamais : François Sureau a un côté… Édouard Baer. Tous les deux sont des fils spirituels de Jean d’Ormesson (qui fut le meilleur ami du père de Baer). Qu’ils viennent de la plus haute bourgeoisi­e parisienne pourrait agacer, mais leur élégance, leur humour et leur maîtrise du verbe leur permettent d’êtres aimés par des gens de tous horizons. Avec sa pipe et son look d’aristo anglais, Sureau a l’estime des membres du Bottin mondain, dans lequel il figure (comme son plus ancien camarade de jeunesse, Emmanuel de Waresquiel).

Ses années de service dans la Légion étrangère et son catholicis­me revendiqué lui valent l’admiration de la jeune droite, des portraits élogieux signés Eugénie Bastié dans Le Figaro. Par sa xénophilie, sa défense des libertés publiques et l’associatio­n d’aide aux demandeurs d’asile qu’il a ouverte avec sa femme, il arrive en même temps à être une vigie pour la gauche (Yann Barthès le reçoit souvent dans Quotidien, Léa Salamé et Nicolas Demorand l’invitent tout le temps à la matinale de France Inter).

L’UN DES INTELLECTU­ELS PRÉFÉRÉS DES FRANÇAIS

Bref, il est devenu ces dernières années l’un des intellectu­els préférés des Français. Et la littératur­e dans tout ça ? Sureau lance chez Gallimard la collection « Ma vie avec… », qu’il inaugure avec Ma vie avec Apollinair­e (dont la sortie est prévue pour 2021), un récit lumineux, très personnel, sur le poète trépané emporté par la grippe espagnole de 1918. Il avait écrit le livre pendant le premier confinemen­t. D’un virus l’autre, il y a des choses immuables. Sous le pont Mirabeau et aux pieds de l’Académie française coule la Seine.

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