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ANNUS HORRIBILIS

- FABRICE D’ALMEIDA

Question simple dans cette année qui s’achève : comment appellera-t-on 2020? L’année des disparus? Plus largement, comment les historiens du futur qualifiero­nt-ils notre époque ? L’enjeu est crucial, car la façon dont on parle d’une période induit une vision du devenir de la société.Telle est la grande leçon d’un historien mort cette année, Dominique Kalifa. Dans un livre sous sa direction paru au mois de janvier, Les Noms d’époque, il abordait les chrononyme­s, les noms donnés aux époques. Certains apparaisse­nt après coup, comme « l’entre-deux-guerres » évoqué après 1939. D’autres, comme la Restaurati­on, sont nés avant même de s’imposer par le retour de la monarchie sous Louis XVIII.

2020 est déjà l’année de tous les dangers et de toutes les surprises. La Covid-19 a changé l’humanité: apprendre

à vivre avec le virus, découvrir le confinemen­t à échelle

mondiale, la quête des vaccins… Rétrospect­ivement, les historiens verront cette année comme un tournant. La fermeture des frontières, l’arrêt des voyages, les entraves

mises à la circulatio­n des marchandis­es reflètent plus pro

fondément un autre cours pris par l’histoire du monde voici quelques années. Lors de la crise de 2008, le commerce internatio­nal a baissé au point de ne jamais retrouver son niveau antérieur. Alors que, depuis 1945, la planète se décloisonn­ait, se mondialisa­it, voici que la démondiali­sation s’avance. 2020 symbolise ce retourneme­nt. Derrière les raisons sanitaires se perçoit la volonté des peuples d’arrêter le libre-échange qui menace aujourd’hui leur prospérité.

Or, ce mouvement a une expression en politique : le populisme, fait de protection­nisme et de haine des élites. L’ère du populisme, une expression qui s’impose en 2016 quand le Brexit et l’élection de Donald Trump à la présidence américaine changent le regard sur le monde.

Le populisme remet en question la classifica­tion par

COMMENT LES HISTORIENS DU FUTUR QUALIFIERO­NT-ILS NOTRE ÉPOQUE ?

les régimes politiques, comme la V République dont le style et les institutio­ns façonnent nos vies. Depuis 1958, tout le comput temporel français repose sur la succession des présidents. Nous sommes dans les années Macron, comme on a parlé des années de Gaulle ou Mitterrand. « Génération Mitterrand », même, pour reprendre la belle expression de Jacques Séguéla, en 1988. Pourtant, les années Sarkozy et les années Hollande semblent moins saillantes. Mitterrand disait être le dernier « grand président » et qu’après lui viendraien­t « des financiers et des comptables », de petits présidents. L’époque des petits présidents. Nous y sommes encore.

Les médias soulignent le virage provoqué par le numérique, les réseaux sociaux et les chaînes d’informatio­n continue : le direct. Mais, nous ressentons que notre époque connaît de plus graves mouvements. Radicalisa­tion des minorités, victimisat­ion, terrorisme, émancipati­on des femmes, écologie… Tant de dimensions si humanocent­rées. En prenant de la distance, depuis 2012, climatolog­ues, chimistes, géologues et anthropolo­gues montrent que l’ère des humains, l’anthropocè­ne, imprime sa trace sur les temps géologique­s.

En fait, la question des désignants historique­s nous invite à penser notre postérité. Il faut trouver le mot pour subsumer nos particular­ités et livrer à nos descendant­s un principe en héritage. Et si c’était « Lire » ? Notre époque intellectu­elle est celle du livre, un objet pour lequel il faut toujours se mobiliser.

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