ANNUS HORRIBILIS
Question simple dans cette année qui s’achève : comment appellera-t-on 2020? L’année des disparus? Plus largement, comment les historiens du futur qualifieront-ils notre époque ? L’enjeu est crucial, car la façon dont on parle d’une période induit une vision du devenir de la société.Telle est la grande leçon d’un historien mort cette année, Dominique Kalifa. Dans un livre sous sa direction paru au mois de janvier, Les Noms d’époque, il abordait les chrononymes, les noms donnés aux époques. Certains apparaissent après coup, comme « l’entre-deux-guerres » évoqué après 1939. D’autres, comme la Restauration, sont nés avant même de s’imposer par le retour de la monarchie sous Louis XVIII.
2020 est déjà l’année de tous les dangers et de toutes les surprises. La Covid-19 a changé l’humanité: apprendre
à vivre avec le virus, découvrir le confinement à échelle
mondiale, la quête des vaccins… Rétrospectivement, les historiens verront cette année comme un tournant. La fermeture des frontières, l’arrêt des voyages, les entraves
mises à la circulation des marchandises reflètent plus pro
fondément un autre cours pris par l’histoire du monde voici quelques années. Lors de la crise de 2008, le commerce international a baissé au point de ne jamais retrouver son niveau antérieur. Alors que, depuis 1945, la planète se décloisonnait, se mondialisait, voici que la démondialisation s’avance. 2020 symbolise ce retournement. Derrière les raisons sanitaires se perçoit la volonté des peuples d’arrêter le libre-échange qui menace aujourd’hui leur prospérité.
Or, ce mouvement a une expression en politique : le populisme, fait de protectionnisme et de haine des élites. L’ère du populisme, une expression qui s’impose en 2016 quand le Brexit et l’élection de Donald Trump à la présidence américaine changent le regard sur le monde.
Le populisme remet en question la classification par
COMMENT LES HISTORIENS DU FUTUR QUALIFIERONT-ILS NOTRE ÉPOQUE ?
les régimes politiques, comme la V République dont le style et les institutions façonnent nos vies. Depuis 1958, tout le comput temporel français repose sur la succession des présidents. Nous sommes dans les années Macron, comme on a parlé des années de Gaulle ou Mitterrand. « Génération Mitterrand », même, pour reprendre la belle expression de Jacques Séguéla, en 1988. Pourtant, les années Sarkozy et les années Hollande semblent moins saillantes. Mitterrand disait être le dernier « grand président » et qu’après lui viendraient « des financiers et des comptables », de petits présidents. L’époque des petits présidents. Nous y sommes encore.
Les médias soulignent le virage provoqué par le numérique, les réseaux sociaux et les chaînes d’information continue : le direct. Mais, nous ressentons que notre époque connaît de plus graves mouvements. Radicalisation des minorités, victimisation, terrorisme, émancipation des femmes, écologie… Tant de dimensions si humanocentrées. En prenant de la distance, depuis 2012, climatologues, chimistes, géologues et anthropologues montrent que l’ère des humains, l’anthropocène, imprime sa trace sur les temps géologiques.
En fait, la question des désignants historiques nous invite à penser notre postérité. Il faut trouver le mot pour subsumer nos particularités et livrer à nos descendants un principe en héritage. Et si c’était « Lire » ? Notre époque intellectuelle est celle du livre, un objet pour lequel il faut toujours se mobiliser.
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