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Éric Naulleau

- Propos recueillis par Baptiste Liger

AVANT DE DEVENIR LE POPULAIRE CHRONIQUEU­R ET ANIMATEUR TÉLÉ, CELUI QU’ON ASSOCIE SOUVENT À L’AUTRE ÉRIC (ZEMMOUR) ÉTAIT ÉDITEUR, SPÉCIALISÉ DANS LA LITTÉRATUR­E D’EUROPE DE L’EST. IL SE MET AUJOURD’HUI DANS LA PEAU DU ROMANCIER AVEC RUSE, UN PUR POLAR GOÛT BULGARE. À CETTE OCCASION, IL NOUS CONFIE QUELQUES SOUVENIRS DE LECTURE ESSENTIELS POUR LUI.

VOTRE PREMIER SOUVENIR DE LECTURE ?

« Papa faucheux de Jean Webster, déniché chez mes grands-parents. Je ne me lassais pas de relire l’histoire de cette orpheline dont un mystérieux bienfaiteu­r anonyme finance les études universita­ires, à la seule condition qu’elle lui envoie régulièrem­ent des lettres auxquelles il est entendu qu’aucune réponse ne sera donnée (nul doute que ce résumé serait accueilli avec suspicion si l’ouvrage paraissait aujourd’hui). J’ai appris bien plus tard avec surprise qu’il s’agissait d’un classique pour jeunes filles américaine­s. »

LE GRAND CLASSIQUE QUI VOUS TOMBE DES MAINS ?

« Sans conteste

La Condition humaine, de Malraux, en dépit de plusieurs tentatives, alors même que j’apprécie cet auteur de manière générale. Rien à faire, le livre me tombe à chaque fois des mains et des yeux, je n’ai jamais dépassé la page 60, l’impression de participer à une séance d’hypnose, mes paupières deviennent lourdes, lourdes… Je ferai bientôt une nouvelle tentative, car le temps commence à presser. Par ailleurs, il m’a fallu mobiliser toutes les forces de mon surmoi pour ne pas lâcher en cours de route Le Docteur Jivago de Pasternak. Est-ce un problème personnel ou serait-ce le film tiré du livre qu’on admire en vérité ? »

VOTRE PLAISIR COUPABLE LITTÉRAIRE ?

« Il fut un temps où lire Frédéric Dard ou même Simenon relevait pour moi, comme pour beaucoup d’autres lecteurs, du plaisir coupable littéraire par excellence – une certaine intelligen­tsia se pinçait le nez à la seule mention de leurs noms. Tous deux sont à présent panthéonis­és, l’un dans la collection « Bouquins », l’autre, mieux encore, dans la Pléiade. J’aime qu’on les considère désormais à leur juste valeur, deux géants des lettres, l’un écrivait à l’os, l’autre s’intéressai­t plutôt à la chair qui l’entoure, belle complément­arité, mais je regrette un peu le temps de la culpabilit­é. Je crois, comme Valéry Larbaud, à la lecture considérée comme un “vice impuni”. »

VOS BANDES DESSINÉES PRÉFÉRÉES?

« Je m’intéresse à la BD contempora­ine – Daniel Clowes ou Nick Drnaso –, mais reste très attaché à celle de mon enfance. J’ai consacré des textes à deux de mes idoles, Ric Hochet et Taka Takata. Le premier était dessiné par feu Tibet, dont j’ai édité un récit autobiogra­phique, le second par Azara, devenu un ami. Le journal Pilote a joué un rôle décisif pour ma génération, il est à notre humour ce que la Révolution française est à notre histoire, nous vivons sur son héritage, de Cabu à Goscinny, de Gotlib à Mandryka, de Lauzier à Fred. J’aime aussi les strips: Dilbert de Scott Adams fait mon délice et je suis un inconditio­nnel de Calvin & Hobbes.»

ENFIN, VOS TROIS COUPS DE COEUR DE LA RENTRÉE LITTÉRAIRE?

« L’Homme aux trois lettres de Pascal Quignard (Grasset), méditation d’une profondeur poétique rare sur l’acte même de lire. La Demoiselle à coeur ouvert de Lise Charles (P.O.L), qui commence à la manière d’une satire de la villa Médicis et devient un vertigineu­x tour de force littéraire frotté d’humour. Le Nouveau Nom de l’amour de Belinda Cannone (Stock) où l’essayiste travaille le concept de “polygamie lente” et promeut un féminisme avec, plutôt que contre, les hommes ; ce qui fait un bien fou par les mauvais temps qui courent. »

RUSE, ÉRIC NAULLEAU, 208 P., ALBIN MICHEL, 18 €

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