Baptiste Liger
Il ne faut pas enfermer les auteurs dans des cases. Ainsi la bande dessinée a-t-elle
été souvent considérée comme un art très masculin. L’analyse, caricaturale, se devait d’être rectifiée car, aussi bien en France qu’aux États-Unis, au Japon ou dans les pays scandinaves, bien des talents féminins étaient déjà à l’oeuvre avant les années 1980. Comment nier l’importance, par exemple, de Claire Bretécher, de Chantal Montellier, de Roz Chast (figure du New Yorker), de Riyoko Ikeda (la créatrice de Lady Oscar!) ou de Tove Jansson (et ses fameux Moomins)? Voilà pourquoi, cinq ans après une polémique à Angoulême restée fameuse, Lire Magazine littéraire a voulu consacrer un dossier à la BD féminine. Histoire de rappeler certains grands noms, de montrer les spécificités individuelles de toutes ces plumes, de conseiller quelques excellents albums ou romans graphiques et de faire un état de lieux, aujourd’hui, de la place des femmes dans le neuvième art.
C’est aussi une femme qui fait l’événement, en cette rentrée : Camille Kouchner avec son récit La Familia grande1. Quelques jours avant sa publication, ce livre a déclenché une polémique et mis en avant la question taboue de l’inceste (qui plus est dans la « France d’en haut »). Au-delà de la stricte valeur littéraire du texte et de son impact sociétal, il y a un incontestable effet éditorial. L’an passé, l’attention du public s’est ainsi focalisée de manière quasi exclusive sur Le Consentement de Vanessa Springora (pour un peu moins de 200000 exemplaires vendus, a priori – sans compter les achats numériques). Dès lors, il a été très difficile aux autres titres de se faire une place. Selon nos sources, à l’exception de Miroir de nos peines de Pierre Lemaitre et de Là où chantent les écrevisses de Delia Owens, aucun roman paru en janvier-février dernier n’a dépassé les 100000 exemplaires en grand format. Le confinement de mars n’a bien sûr pas aidé, mais le démarrage des premières semaines détermine la carrière d’un ouvrage…
Souhaitons que ce schéma ne se reproduise pas cette année et que les nouveaux romans de Marie Ndiaye, Yasmina Reza, Céline Curiol, Graham Swift ou Patrick Grainville – défendus dans nos pages – connaissent le succès qu’ils méritent. Et que, pourquoi pas, CNews et BFM TV invitent Emmanuel Chaussade pour présenter son bouleversant Elle, la mère (Minuit). Un premier roman qui évoque lui aussi, de manière subtile et dérangeante, la question de l’inceste (dans un versant particulièrement trouble). Mais quelque chose nous dit que ça n’est pas gagné…
1. Que les éditions du Seuil n’ont pas souhaité envoyer à Lire Magazine littéraire, contrairement à d’autres médias, dans nos temps de bouclage (exceptionnellement avancé).