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FITZGERALD, LE GATSBY DÉCHU

Chef de file de la Génération perdue, l’écrivain vedette des Années folles court sa vie durant à la poursuite d’un rêve, qui est aussi celui d’un xxe siècle balbutiant.

- Laëtitia Favro

Célèbre à 20 ans, oublié de tous à 40 ans, F. Scott Fitzgerald s’éteint à l’issue d’une trajectoir­e que l’on aime confondre avec son oeuvre et plus encore avec son siècle. L’étoile sous laquelle le petit Francis Scott voit le jour, en 1896, devait pourtant lui porter chance jusqu’à la parution de L’Envers du paradis, une histoire de flirts et de surprises-parties entre jeunes gens bien nés, dont la vitalité joyeuse désigne cet écrivain de 23 ans, à peine sorti de Princeton et fiancé à la plus jolie fille du coin (l’iconique Zelda), comme le porte-voix d’une génération nouvelle avide de rompre avec tout ce qui lui avait précédé.

DU FASTE À LA RUINE

Mais ce fut sans doute le premier malheur de Fitzgerald que de publier son premier succès en 1920, à l’aube d’une décennie d’excès et d’argent facile qui prétendait noyer dans le jazz et dans le gin le souvenir de la Première Guerre mondiale et les prémices de la prohibitio­n. Une décennie qui devait l’engloutir lui, Zelda et tous les habitués des nuits endiablées du Montparnas­se des Années folles comme du West Egg de Gatsby le Magnifique. Si Fitzgerald demeure indissocia­ble de son héros, jeune nabab tentant d’oublier un passé trouble à force de somptueuse­s garden-parties, Gatsby est à sa sortie, en 1925, un échec commercial qui précipite son auteur dans l’alcool et dans une dépression qui épouse bientôt celle de son pays.

En 1929, Wall Street s’effondre, Fitzgerald et nombre de ses compatriot­es qui avaient profité d’un dollar fort pour émigrer sur la Côte d’Azur sont ruinés. Zelda sombre dans la folie et Francis Scott, afin de la faire soigner dans les meilleurs instituts, se tourne alors vers Hollywood, rencontre quelques succès qui ne suffisent pas à occulter les nombreuses déconvenue­s du scénariste – métier qu’il honnissait.

Que reste-t-il de l’écrivain vedette des années 1920, lorsqu’en 1937 il signe un contrat avec la MGM ? Rien, ou quelques volumes d’occasion. Une anecdote aussi pathétique qu’émouvante en témoigne : quand, au crépuscule de ses jours, Fitzgerald vit un dernier amour avec Sheilah Graham et qu’il se propose de lui faire lire ses écrits, aucun de ses titres ne se trouve plus en librairies. Ni L’Envers du paradis, ni Gatsby, ni Tendre est la nuit, entre-temps paru, ultime chef-d’oeuvre de l’écrivain maudit. Que s’est-il donc passé ? La réponse est-elle à chercher dans la correspond­ance que F. Scott entretient avec sa fille quand il lui confie : « Je voudrais ne m’être jamais reposé ni détourné, mais avoir pu dire après Gatsby : “J’ai trouvé ma ligne, et à partir de maintenant, c’est cela qui doit compter en premier. C’est cela mon but immédiat. Sans cela je ne suis rien.” » ?

UNE DIMENSION PROPHÉTIQU­E

Si la postérité a retenu de F. Scott et de Zelda la figure de noceurs invétérés comme tant d’autres absorbés dans le tourbillon des twenties, elle néglige souvent la dimension prophétiqu­e et la profonde clairvoyan­ce de l’oeuvre de Fitzgerald qui pressent dès le début des années 1920 la débâcle à venir, incarnée dans les multiples destins brisés qui hantent Gatsby – destins brisés auxquels Fitzgerald a eu conscience d’ajouter le sien, comme John Peale Bishop le sous-entendait dans un poème hommage à son ami : « D’ordinaire le damné ne sait pas qu’il est damné. »

Fastueuses pour la création artistique mais fatales à nombre d’artistes, les années 1920 sont un lointain souvenir quand Fitzgerald entame la rédaction du Dernier nabab, roman demeuré inachevé faisant preuve d’une acuité sur son époque plus remarquabl­e encore que Gatsby. En décembre 1940, alors que le démon de l’alcool semble s’être éloigné et qu’il travaille avec une ardeur depuis longtemps évanouie, Fitzgerald est terrassé par une crise cardiaque, ultime coup du sort venant mettre fin au « rêve d’un rêve déçu »,

celui d’un écrivain à la poursuite du mirage que le siècle balbutiant avait à l’horizon dessiné.

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