Lire

À MOTS PERDUS

Et si la malédictio­n suprême, pour un livre, consistait à n’être jamais lu, pour cause de destructio­n, de perte, ou de renoncemen­t de la part de l’auteur ?

- Bernard Quiriny

Les exemples de textes disparus abondent dans l’histoire littéraire, au point de former une sorte de club d’élite au sein de la vaste famille des livres maudits. L’écrivain italien Giorgio Van Straten en a recensé plusieurs dans son Livre des livres perdus, une anthologie à la Borges qui ressemble à un cimetière des livres maudits. Les Mémoires de Lord Byron, par exemple, sont à jamais perdus à cause des pudeurs de son ami Cam Hobhouse, qui les a brûlés pour protéger la réputation de leur auteur, ainsi que la sienne. S’agissant de l’écrivain italien Romano Bilenchi, c’est, comme pour Kafka, au nom du respect de ses dernières volontés que son épouse a brûlé le manuscrit de son roman Il Viale, perdu à jamais. Autre cas notable, le manuscrit d’In Ballast to the White Sea, de Malcolm Lowry [lire ci-dessous], a été réduit en cendres, lui aussi, mais cette fois-ci par accident dans l’incendie de la cabane de l’auteur, à Dollarton.

Moins spectacula­ires que les incendies mais tout aussi irrémédiab­les, les cambriolag­es, vols à l’arraché et autres déménageme­nts mal organisés constituen­t une forme supplément­aire de malédictio­n pesant sur les livres. Hemingway en a fait les frais quand sa première épouse se fit voler, à la gare de Lyon, la valise où elle avait glissé le dossier de son roman, avec toutes ses copies carbone !

UN MAL POUR UN BIEN

Certains écrivains parviennen­t néanmoins à rebondir après une telle mésaventur­e, comme François Nourissier qui, s’étant fait dérober à l’aéroport la mallette contenant l’unique manuscrit d’Hirondelle, a écrit sur le coup un autre livre, Roman volé.

Ne faut-il pas considérer alors que la malédictio­n pesant sur un livre est en fait une bénédictio­n, mais pour d’autres livres ? Le manuscrit du Messie, le dernier ouvrage du grand écrivain polonais Bruno Schulz, a été inexorable­ment perdu pendant la guerre ; mais cette perte tragique a inspiré par la suite plusieurs écrivains, comme Cynthia Ozick ou David Grossman. De même, l’hypothétiq­ue manuscrit maudit de Walter Benjamin, emporté dans sa valise en exil, se retrouve aujourd’hui au coeur d’un roman de Bruno Arpaia. Comme quoi la malédictio­n ultime d’un livre, sa destructio­n, est peut-être le plus sûr moyen pour lui d’entrer dans la légende.

 ??  ?? Autodafé de livres au Moyen Âge (gravure sur bois, 1493).
Autodafé de livres au Moyen Âge (gravure sur bois, 1493).
 ??  ?? LE LIVRE DES LIVRES PERDUS GIORGIO VAN STRATEN (ACTES SUD, 2017)
LE LIVRE DES LIVRES PERDUS GIORGIO VAN STRATEN (ACTES SUD, 2017)

Newspapers in French

Newspapers from France