LES MAUVAIS COUPS DU GONCOURT
Le plus fameux des prix littéraires ne fut pas toujours synonyme d’aubaine, comme le démontre le parcours de certains de ses lauréats.
Bénédiction ou catastrophe que le prix Goncourt ? Couronnée pour Léon Morin, prêtre en 1952, Béatrix Beck assura qu’il lui avait apporté « la sécurité, la possibilité de continuer à écrire et celle de s’acheter des draps de lit et le Littré ». Encore fallait-il, en ce jour de fin novembre qui changea la vie des lauréats, être averti des règles de l’arène littéraire. L’attribution du prix en a bouleversé plusieurs d’entre eux. Quelques-uns furent longtemps traumatisés, certains se retirèrent sur leur Aventin tandis que d’autres surmontèrent l’épreuve en capitalisant sur ses avantages.
UNE IDENTITÉ ILLUSOIRE
Le plus acide contempteur du succès foudroyant fut le Cévenol Jean Carrière, couronné en 1972 pour L’Épervier de
Maheux (Jean-Jacques Pauvert). Les ventes mirobolantes, en France et à l’étranger, donnent le vertige. De 1 200 exemplaires écoulés avec Retour à Uzès – son premier roman au succès d’estime –, son score a grimpé à 1,7 million d’exemplaires, rien qu’en France, pour ce deuxième ouvrage, sans compter les quatorze traductions. Épuisé par l’avalanche de sollicitations (signatures, salons, passages dans les médias) lui donnant « une identité illusoire », et alors que sa vie ne lui appartenait plus, il bascula dans la dépression. Pour son salut, il décrivit les retombées sur son existence personnelle. Il publia en 1987 Le Prix d’un Goncourt, qui inventait un genre : les confessions du lauréat. Primé pour La Dentellière (1974), Pascal Lainé fut quant à lui moins affecté, mais fort chagrin de se voir réduit pour toujours à un seul livre. Son oeuvre en compte une quarantaine… Un quart de siècle plus tard, il explique dans Sacré Goncourt ! qu’il voit dans sa soudaine célébrité le concentré de la futilité d’une culture dominée par les médias et les effets de mode. Malgré leur malédiction, Carrière et Lainé ont été fêtés. Pascale Roze, elle, vécut à peine quelques instants de bonheur. Elle n’avait publié qu’un recueil de nouvelles quand elle fut distinguée, d’abord par le prix du Premier roman pour Le Chasseur Zéro (Albin Michel, 1996), un livre court à la syntaxe épurée et efficace, puis par le Goncourt. « Une des belles surprises de cet automne », avait estimé dans Le Point François Nourissier, fraîchement élu président du jury. Le soir de l’annonce du prix, une violente critique à la radio ouvrit le procès en illégitimité. Le ciel tomba sur la tête de l’infortunée novice. Ce ne fut qu’au bout de dix ans que les effets délétères se dissipèrent.
UN VACCIN CONTRE LES EFFETS DU SUCCÈS
Plusieurs lauréats oubliés ont gardé un souvenir moins dramatique de leur brutale notoriété. L’attribution du prix à Yves Navarre pour Le Jardin d’acclimatation en 1980 (Flammarion) le catalogua écrivain de l’homosexualité, ce qu’il ne cessait de décrier – il voulait être reconnu pour son oeuvre, non pour un porte-parolat. L’arrivée de nouveaux lecteurs déplut à Jacques Borel, heureux élu en 1965 pour
L’Adoration (Gallimard). Lauréat 1986 avec son deuxième roman
Valet de nuit (Grasset), Michel Host, professeur agrégé d’espagnol, garda la tête froide en dépit des ricaneurs qui raillaient son livre « bonnet de nuit ». Écrivain discret, il représente un cas à part : contre toute attente, la notoriété de son petit Goncourt (70 000 exemplaires) le fit basculer dans la confidentialité. Aujourd’hui, son « petit bataillon de lecteurs » fidèles lui suffit. D’un naturel philosophe, il avait découvert un vaccin contre les effets secondaires du succès :
« L’écrivain primé est en butte à tous les soupçons, de celui de médiocrité à celui d’intrigue et de faveur imméritée. La fable Le Renard et les Raisins est sans doute celle qui rend le mieux compte des enjeux d’un prix tel que le Goncourt ! »
LE CHAGRIN DE SE VOIR RÉDUIT POUR TOUJOURS À UN SEUL LIVRE