Beau-papa
Il est des thèmes qui vous habitent. Celui de la paternité, assumée par un biais ou un autre, revient dans le nouveau roman de l’auteur.
Le Roman de Jim aurait pu s’intituler Les Enfants des autres, comme le précédent roman de Pierric Bailly. Le narrateur se met en couple avec une femme enceinte ; l’enfant naît, il l’élève comme le sien. Le père biologique, qui vit dans le coin, n’a aucune intention de s’occuper du petit Jim. Tout est donc pour le mieux, jusqu’au jour où…
C’est une histoire banale, une histoire de paternité involontaire, d’amour fou pour un môme, de famille éclatée. Sous la plume de Bailly, elle acquiert quelque chose de poignant, d’immédiat. L’auteur a le don de rentrer instantanément dans le vif du sujet, de cerner ses personnages dans ce qu’ils ont de fragile et de juste, sans faux-semblant, sans écran, avec le plus grand naturel.
UNE LANGUE EN BLOUSE DE TRAVAIL
Ses héros sont – comme à l’accoutumée – des prolos du Jura, magasiniers, artisans, travailleurs au noir ; ils bossent dans des supermarchés, sont intérimaires en usine, retapent leur maison eux-mêmes. C’est le même milieu populaire, généralement ignoré par la littérature, qu’explorent les romans de Nicolas Mathieu ; mais il est abordé ici sous un angle différent, plus familier, pour ainsi dire de l’intérieur.
Bailly raconte son histoire dans un style brut, rude, précis ; une langue en blouse de travail et baskets, où les afféteries n’ont pas leur place. Le récit est à la première personne, comme pour Les Enfants des autres ; mais tandis que le « je » de ce roman visait à prendre le lecteur au piège de la psyché branlante du narrateur, pour une variation lynchienne sur le fantasme et la réalité, le « je » du Roman de Jim vise plutôt à cerner au plus près les sentiments de notre père d’adoption, hésitant d’abord face à Jim, puis amoureux fou, puis éperdu de détresse. Moins perché que L’Étoile du Hautacam, moins spectaculaire que Les Enfants des autres, ce Roman de Jim est un beau livre sensible où l’auteur fait montre pour ses personnages, attachants et humbles, d’une sorte de tendresse pudique, taciturne, comme s’il les avait toujours connus.