L'envers du décor
Récompensée par le National Book Award en 2019, l’auteure joue avec la réalité et nous apprend à nous méfier des faux-semblants.
Parmi les exercices auxquels tout apprenti comédien doit se plier, il en est un qui consiste à « se laisser tomber à la renverse dans le maillage des bras de ses camarades ». C’est une même preuve de confiance que l’écrivaine américaine Susan Choi attend des lecteurs qui auront le flair de choisir son roman, dont l’intrigue se révèle page après page bien plus diabolique que l’histoire d’amours adolescentes sur laquelle elle s’ouvre.
LES ILLUSIONS PERDUES
David et Sarah s’aiment avec l’intensité des premières fois. À 15 ans et des rêves plein la tête, ils viennent d’intégrer l’Aca, prestigieuse école d’art dramatique aux méthodes peu orthodoxes. Sous le regard de Mr Kingsley, professeur aussi charismatique qu’intransigeant, des vocations naissent, des talents se révèlent, des espoirs s’effondrent. La salle de répétitions devient bientôt un second foyer où chacun apprend à déceler, derrière les gestes de ses partenaires, les blessures, les faiblesses, mais aussi l’ambition dévorante de devenir quelqu’un. « Dans cette pièce ils ont rampé à la merci de l’obscurité complète, se sont croisés, tripotés. Ils se sont allongés sur le dos pour être des cadavres. Ils se sont bercés, sont tombés dans les bras entrecroisés de leurs camarades. » Autant d’exercices de confiance et de rituels de passage qui font basculer les protagonistes de l’enfance vers l’âge adulte.
Quand le lecteur les retrouve douze ans plus tard, les vedettes sont parties et les figurants sont restés. Un nouveau récit peut alors s’écrire, redistribuant les rôles. « Combien de pièces hébergent le passé? Dans leur ville natale, il y avait de l’espace à revendre. »
Cet espace dans lequel la narration s’engouffre pour en éclairer les zones d’ombre est d’abord celui d’une confiance bafouée, d’une transgression qui n’est jamais frontalement dévoilée mais affleure au détour d’une scène, d’une phrase, d’un mot, jusqu’à ce que le doute ne soit plus permis. Les professeurs de l’Aca avaient-ils le droit de s’immiscer ainsi dans la vie de leurs élèves ? Les adultes sontils responsables de leur perte d’illusions ?
À travers son fascinant jeu de miroirs – qui renvoie peut-être plus de reflets que l’histoire n’en compte vraiment –, Exercice de confiance immerge son lecteur dans cette sensibilité à fleur de peau propre à l’adolescence, ravivant en lui le souvenir des promesses qu’il n’a pas tenues.