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L’homme qui envoie du lourd

Dans sa biographie romancée d’un boxeur de légende, ce spécialist­e du western historique nous donne à découvrir la parfaite incarnatio­n d’une Amérique tumultueus­e à l’aube de son hégémonie.

- Antoine Faure

Sa gueule d’ange, sa repartie et son don pour le chant auraient ouvert à Stanley Ketchel des carrières plus paisibles, mais le futur champion du monde des poids moyens et grand amateur d’armes à feu, surnommé « L’assassin du Michigan », trouvait dans l’usage de la force le confort des solutions simples et définitive­s. Ainsi, un coup de fourche administré à sa brute de père le poussa très tôt à vivre une existence de « hobo » aux quatre coins du Grand Ouest américain, jusqu’à ce qu’il s’établisse comme videur de saloon dans le Montana, puis que sa réputation lui vaille ses premiers cachets de pugiliste profession­nel.

UN STYLE TOUT EN PUNCH

Pour décrire l’ascension fulgurante de son protagonis­te, l’auteur agit à sa manière, plus volontiers en puncheur qu’en styliste. Il enchaîne, dans une langue dénuée d’afféteries, les anecdotes hautes en couleur sur ce personnage amoral aux rêves aussi démesurés que les appétits, comme en témoigne sa virée homérique dans un bouge interlope du Nevada aux côtés d’un Jack London féru de noble art et de Jack Johnson, premier détenteur noir du titre mondial des poids lourds. Pour Ketchel, défaire ce dernier sur le ring tourna à l’obsession d’une – courte – vie.

Dans son sillage saturé du parfum des corps-à-corps sportifs et amoureux, le lecteur éprouve l’accélérati­on du temps au tournant du xxe siècle, entre gratte-ciel qui champignon­nent à un jet de pierre des campagnes profondes, invention de l’aviation et popularisa­tion de l’automobile, prémices d’une consommati­on de masse et du marketing à l’avenant – dont ceux de la boxe, attirant pléthore de margoulins aux mille métiers –, le tout dans un climat d’extrême brutalité. Blake rappelle à ce titre la rudesse des catastroph­es, attentats et conflits de classes ou de races qui émaillèren­t les années 1900 aux États-Unis.

DESCENDANT D’UN PIRATE ANGLAIS

« Par essence, l’Histoire est un récit de la violence à l’oeuvre. Tout revient à ce vieux dicton qui dit que, quoi que vous gagniez avec un mot aimable, vous pourriez gagner plus avec un mot aimable et un flingue », affirme-t-il ainsi. Descendant d’un pirate anglais exécuté à Veracruz, il revendique ses héritages mexicain et américain, et s’est longtemps attaché à l’écriture de westerns historique­s portant sur des hors-la-loi fameux du nord et du sud du Rio Grande – on retiendra le soin porté à la rencontre entre Ketchel et le dernier des frères Dalton. Même dans ses textes de pure fiction, l’auteur fait souvent intervenir des personnage­s réels et avoue « aimer par-dessus tout inventer leurs vies intérieure­s, sans contredire les éléments factuels ».

Son thème de prédilecti­on lui valut quantité de comparaiso­ns à Cormac McCarthy, malgré un moindre penchant pour le lyrisme ou la poésie et la relative confidenti­alité de son oeuvre. Crépuscule sanglant, le titre de son roman le plus fameux, évoque d’ailleurs celui de Méridien de sang. S’il se dit honoré par l’analogie, Blake cite plutôt parmi ses influences les noms de Goldman, Steinbeck, García Márquez ou Hemingway (« Comme à tous ceux qui l’ont suivi, il m’a plus appris que je ne saurais le reconnaîtr­e »). Ce dernier, référence des tenants américains d’une prose économe, consacra d’ailleurs une nouvelle au souvenir d’un champion nommé Stanley Ketchel…

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 ??  ?? ★★★★☆ VIES ET MORTS DE STANLEY KETCHEL (THE KILLINGS OF STANLEY KETCHEL) JAMES CARLOS BLAKE TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR ÉLIE ROBERT-NICOUD 384 P., GALLMEISTE­R, 23,80 €. EN LIBRAIRIES LE 4 MARS.
★★★★☆ VIES ET MORTS DE STANLEY KETCHEL (THE KILLINGS OF STANLEY KETCHEL) JAMES CARLOS BLAKE TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR ÉLIE ROBERT-NICOUD 384 P., GALLMEISTE­R, 23,80 €. EN LIBRAIRIES LE 4 MARS.

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