L’aventure, c’est l’aventure
L’auteure israélienne, reine de la bande dessinée dans son pays, recourt ici à l’archéologie pour tenter de faire cohabiter des mondes souvent opposés.
Voilà une BD qui réussit à être vraiment de son époque sans être « expérimentale », qui parvient à être critique sans être dogmatique et qui, tout simplement, entraîne la jubilation. L’Israélienne
Rutu Modan est une figure exceptionnelle dans le monde du neuvième art. Un peu car c’est une auteure ayant su s’imposer comme une référence dans un monde où, il y a quinze ans, les femmes représentaient encore l’exception parmi les bédéastes comme parmi les lecteurs ; beaucoup parce qu’elle est, en quelque sorte, « la patronne » du milieu, puisqu’on lui attribue l’introduction de la BD dans la culture de son pays, dont la réticence à accueillir aussi bien les comics que l’école européenne était notoire. Tunnels, pesons nos mots, est, dans son genre, un chef-d’oeuvre.
Mais quel genre, direz-vous? C’est très simple : une atmosphère aventureuse à la Indiana Jones, version archéologie biblique, une réflexion géopolitique sans tabou sur la terrible relation israélo-palestinienne et enfin, par-dessus tout, un humour percutant, qui fuse sans arrêt, comme dans un dialogue de comédie américaine de la grande époque (« Ton père m’a menti, Motké m’a menti ! Et toi aussi ! On ne peut compter que sur Daesh ! »). Tous les personnages, même furtifs, sont prestement typés et ont chacun une facette qui fait rire, fût-ce jaune. Une fin sarcastique renvoie aux calendes grecques la découverte de l’Arche d’alliance, mais résout toutes les autres contradictions que l’intrigue entrecroise : entre la soeur et le frère, entre les orthodoxes et les laïques, entre les archéologues juifs et les activistes palestiniens. En ce bas monde, ce n’est déjà pas si mal.