Duo très haut
Les deux comparses ont construit un univers où les personnages se battent pour affirmer leur singularité. Témoins La Sirène des pompiers, qui vient d’être réédité, et Peau d’homme, beau succès de l’année.
Des pleurs et des sourires. Il y a un an, le 12 février, disparaissait Hubert (Boulard), scénariste admiré et coloriste réputé de la bande dessinée. Quatre mois plus tard sortait Peau d’homme (Glénat), écrit par Hubert et dessiné par Zanzim, album singulier, délicat et romanesque, qui devait remporter plusieurs trophées parmi les plus importants du neuvième art : Grand Prix RTL de la bande dessinée, prix Wolinski-Le Point, prix Landerneau et Grand Prix de l’ACBD, l’association des critiques de la case et du phylactère. À cette reconnaissance de la profession s'ajoute un succès public (mérité) qui saluait le travail d’un duo mis sur les rails en 2002 avec Les Yeux verts. « Je suis heureux que toutes ces récompenses éclairent le magnifique travail d’Hubert », pointe son ami Zanzim, joint par téléphone à Tinténiac, en Ille-et-Vilaine.
DES PERSONNAGES À LA MARGE
Qu’on se rassure : Zanzim est un pseudo. L’homme s’appelle Frédéric Leutelier, mais son penchant pour l’esprit décalé l’a décidé, au lycée, à opter pour Zanzim, référence à une pub des années 1970 et à ses enzymes gloutons dont Coluche saluait la capacité à « retenir la crasse grâce à des petits bras musclés ». C’était un autre monde, celui d’avant, celui où Zanzim ressemblait à Guy Degrenne, vrai fabricant de couverts, élève gentil et poli mais aux mauvais résultats, sauf en dessin – dixit une autre pub d’époque que les moins de 20 ans…
Hubert, lui, n’a pas connu une adolescence aussi tranquille. Naissance à Saint-Renan, dans le Finistère, famille traditionnelle catholique, ce qui n’aide pas forcément à vivre son homosexualité ; Hubert peuple ainsi son univers dramatique de personnages à la marge qui se battent pour affirmer leur singularité et faire partie de la condition humaine. Comme cette héroïne à la queue de poisson dans La Sirène des pompiers, album du duo publié dans la collection « Poisson Pilote » (ça ne s’invente pas) et que Dargaud vient de rééditer. « Seule la couverture est nouvelle et elle est magnifique. » L’album, qui s’inscrit dans l’époque de l’art académique, dit « art pompier », au milieu du xixe siècle, offre également un éclairage sur les rivalités entre peintres et critiques, sur fond d’histoire d’amour entre un homme et une sirène.
ART CLASSIQUE ET CULTURE POP
Si Hubert a promené ses crayons et ses couleurs aux côtés de nombreux dessinateurs – Hervé Tanquerelle pour Le Legs de l’alchimiste, Kerascoët pour Miss pas touche et Beauté –, Zanzim a toujours travaillé avec son ami. Les deux hommes, alors étudiants, se sont rencontrés aux Beaux-Arts d’Angers ; c’était une soirée costumée et Hubert était déguisé en nuage… « Nous nous sommes très vite accordés, malgré nos différences ou peut-être grâce à elles : je fais de l’illustration pour enfants, Hubert verse dans le gothique, je suis issu de la culture pop, Hubert est féru d’art et de peinture classique. L’idée d’un album venait souvent d’Hubert, qui se plongeait avec délice dans la documentation. Je reprenais ensuite l’histoire à mon compte et Hubert savait s’enthousiasmer de mon travail. “Je suis agréablement trahi”, me disait-il. Un beau compliment qui explique parfaitement notre amitié et notre collaboration. »
Peau d’homme, « album de la maturité », dixit Zanzim, se déroule dans l’Italie de la Renaissance et suit Bianca, jeune fille libre et revêche, hostile à son mariage forcé, qui découvre la vie des garçons grâce à une « peau d’homme », qu’elle revêt pour parcourir cet autre monde. Magnifique histoire contée avec délicatesse et dessinée d’un trait lumineux. Hubert et Zanzim, Zanzim et Hubert : un duo pour le meilleur et pour toujours.