Divines biographies
L’année du 700e anniversaire de la mort de Dante, deux biographies ont su relever un défi : apporter des perspectives nouvelles sur un sujet déjà très étudié.
Les deux biographies sur l’auteur de La Divine Comédie s’en tiennent au plus près de ce qu’on peut savoir de l’homme et de son époque, tout en évitant de mêler le certain, le probable, le possible et l’imaginable. L’essai de Barbero, universitaire et polygraphe reconnu pour ses talents de vulgarisateur, se présente comme l’histoire d’un homme au prisme de son temps : « la vie d’un homme du Moyen Âge, qui eut des parents, qui alla à l’école, tomba amoureux, se maria et eut des enfants, s’engagea dans la politique et fit la guerre, connut des succès et des malheurs, la richesse et la pauvreté – sauf que cet homme est l’un des plus grands poètes qui aient jamais foulé le sol de la terre, cette “petite aire qui nous rend si féroces” ».
L’auteur dépeint, dans Dante, le fils d’usurier qui veut intégrer l’aristocratie des écrivains et des poètes, puis l’homme mûr qui s’écarte de la voie droite, pris dans les luttes entre les deux factions guelfes, les Blancs et les Noirs, et, enfin, celui qui est contraint par la mauvaise fortune à s’exiler, « désastre sans remède », ce qui est l’occasion pour Barbero de décrire l’Italie du début du Trecento dans son incroyable diversité. Quant aux « lacunes », les épisodes de la vie de Dante dont on ne sait presque rien, elles se muent dans le récit en discussion des conjectures et des hypothèses. Au lecteur de trouver, dans cette existence à livre ouvert, la personnalité profonde de Dante Alighieri.
UN HOMME MULTIPLE
Dans leurs Vies nouvelles (clin d’oeil à La Vita nuova de Dante), Elisa Brilli et Giuliano Milani sont soumis aux mêmes contraintes : « Pour qui veut retracer ce destin singulier, la source principale d’information est l’oeuvre de Dante lui-même – la Commedia, tout d’abord, non moins que les oeuvres dites “mineures” […] tandis que les sources d’archives le concernant sont moins nombreuses et riches que pour beaucoup de Florentins de sa génération. » Soucieux de ne pas « mélanger les tesselles de différentes mosaïques qui, pour être parlantes, nécessitent d’être analysées séparément », les auteurs exposent « les défis sociaux, politiques et culturels vécus par un Florentin de la fin du Moyen Âge », tout en suivant « la quête d’un auteur qui ne cesse de réécrire son parcours dans ses oeuvres ». S’en dégagent « deux histoires différentes mais enchevêtrées, dont la mise en dialogue alternée, fait ressortir, par voie de comparaison et non plus de combinaison, les questions communes, les résonances et les liens profonds qui animent ces différentes facettes de la vie de Dante ».
L’originalité de cette biographie tient dans le souci de Brilli et Milani de montrer comment coexistent dans les oeuvres plusieurs récits de soi. La relecture proposée de la Commedia est de ce point de vue impressionnante. Sans tomber dans les excès de l’autofiction qui feraient de la grande épopée chrétienne un « instant book, un livre d’actualité rédigé sous la pression des contingences », mais tout en s’appuyant sur l’élan impulsé par la critique moderne qui traite l’oeuvre aussi comme un document et non plus seulement comme un monument, les auteurs analysent magistralement la manière dont le projet poétique tisse dans une même étoffe, sans en supprimer les contradictions, la pluralité de ces récits de soi d’où se dessine en filigrane la figure d’un homme multiple qui, à la fois, se révèle et se dissimule dans ses écrits.