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JOIE VIRTUOSE
Zadie Smith se prend pour Dieu et raconte ses angoisses de créateur – on y croit, jusqu’à ce que ce prétendu Dieu s’en aille promener son chien et passe à la boulangerie. Zadie Smith déjeune avec sa mère décédée. Zadie Smith imagine Mickael Jackson, Marlon Brando et Liz Taylor fuyant New York le 11 septembre 2001. Zadie Smith invente un chauffeur de taxi qui est aussi un ex-flic, ex-toxicomane, et bientôt un ex-mari, l’afflige d’un encombrant amour de la vie et l’envoie dialoguer avec une universitaire ougandaise toute en retenue. Bref, Zadie Smith s’amuse des pouvoirs infinis de la fiction, dans ce recueil de nouvelles instantanées. Pourquoi s’en priverait-elle ? « L’art est un jeu, malheur à qui s’en fait
un devoir », disait Max Jacob, et la romancière britannique prodige semble l’avoir toujours su. Dès son premier livre Sourires de loup, sa joie de manipuler les histoires, les destins, les mots sautait aux yeux. Depuis, elle est devenue une figure de l’intelligentsia anglosaxonne, et cela se voit dans son recueil
Grand Union : Zadie Smith écrit des histoires post-modernes, qui interrogent leur propre forme et font intervenir l’auteur. Elle aborde aussi des sujets durs – notamment un crime raciste. Faut-il crier au scandale si, dans ce texte à prendre au sérieux, elle persiste dans la virtuosité – qui la rend capable de transformer en poème ambigu les déclarations d’un assassin ? Dans ce cas, il aurait fallu interdire à Picasso de jouir de sa propre maîtrise technique quand il peignit Guernica.