. Fantastique/Romance/Jeunesse
L'auteur égyptien impressionne avec sa dystopie sanglante et nihiliste sur fond de Printemps arabe.
Troisième roman de l’Égyptien Mohammad Rabie, Trois saisons en enfer n’a pas usurpé son titre français. Truffé de scènes cauchemardesques évoquant tour à tour, sur fond d’apocalypse, les rêveries les plus sombres de J. G. Ballard, William Burroughs ou Hubert Selby Jr., ce requiem halluciné est aussi, en creux, un brûlot politique impitoyable. La trame, non linéaire, s’enfonce peu à peu dans un brouillard sanglant qui dit la déréliction d’à peu près tout – morale, idéologie, jusqu’au sens même de l’Histoire.
En 2025, au Caire, une escouade d’anciens officiers de police est entrée en résistance contre la république des chevaliers de Malte qui, deux ans plus tôt, a envahi le pays. Le colonel Ahmed Otared, narrateur haut gradé et épuisé de vivre, a pris place au sommet de la tour du Caire.
Dûment masqué, armé d’un fusil à lunette, il canarde à tout-va, abat des ministres, un général, un ancien collègue, n’importe qui, enfin, au hasard. Bientôt, une logique diabolique se déploie : on lui demande, afin de « déclencher l’embrasement », de participer à une authentique tuerie de masse. « Les gens n’auront plus d’autre choix que de se révolter contre le pouvoir. » Tuer pour réveiller ? Et s’il était déjà trop tard ? Et s’il avait toujours été trop tard ? Brusquement, on passe en 2011, au temps du Printemps arabe et des illusions terminales. Une petite fille est recueillie – sa mère est morte, son père a disparu. Très vite, elle est atteinte d’une maladie atroce, miséricordieuse ? qui la prive successivement de bouche, d’oreilles et de paupières. Trois petits singes en un…
Nous voici, ensuite, en 1063 : Sakhr al-Khazragi, prophète obscur, « fils de la mort », ressuscite devant un peuple effaré à qui, littéralement, il promet l’enfer. « Défaites-vous de tout espoir. » Il faudra retourner en 2011, puis en 2025, pour découvrir ce qui, peut-être, relie ces événements. Répétition des schémas, transe éveillée, inéluctabilité du Mal : ce texte d’un nihilisme radical qui, sans répit, voit se succéder suicides, massacres et mises à mort, est une expérience de lecture comme il en existe peu.