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STÉPHANIE HOCHET Portrait de personnage

- STÉPHANIE HOCHET

Elle m’attendait, assise à la terrasse d’un café, plus absente que présente.

Que vous êtes belle ! ne pus-je m’empêcher de lui dire.

C’est un compliment qu’on m’a souvent adressé ces quatre-vingt-huit dernières années.

Je me surpris à tenter de calculer son âge. Elle devait lire dans mes pensées puisqu’elle reprit :

N’oubliez pas que, pour moi, le temps s’est arrêté en 1924. J’avais alors 106 ans. Ne me demandez pas l’âge que j’ai aujourd’hui, cela dépasse mon entendemen­t. Qu’importe ! Pour l’éternité j’ai l’air d’avoir 30 ans. Quel est votre secret ? C’est celui de mon père, le comte de Cagliostro, l’aventurier bien connu. Il avait découvert la clé de l’éternelle jeunesse et s’en tenait pour l’illustrati­on, en quoi il ne manquait pas d’une vanité déplacée. Car enfin, mon père n’était guère juvénile, encore heureux d’ailleurs : avec son physique rubicond d’aristocrat­e surnourri, la juvénilité n’est pas un atout. Un peu de vieillesse rend la graisse moins vulgaire. Mais c’est moi qui vous intéresse et non mon père, n’est-ce pas ? On ne peut rien vous cacher. Sans moi, Arsène Lupin aurait eu la vie facile. Sottement amoureux de Clarisse, niaise et gentille, il n’aurait rien su de l’amour. C’est moi qui lui ai révélé le caractère maléfique de la passion. Avec Clarisse, il n’aurait connu que la lune de miel. Avec moi, il a découvert le duel d’amour. Oscar Wilde a raison : « Chacun tue ce qu’il aime. »

La différence d’âge ne vous gênait pas ?

Non, quelle idée ! C’est lui qui est venu me chercher. Votre époque me fait rire avec ses cougars. Quel amateurism­e ! Une femme de 40 ou 50 ans avec un perdreau de l’année, il n’y a pas de quoi s’esbaudir. Moi, j’avais 106 ans et lui 20, c’est quand même autre chose. L’aimiez-vous ?

Bien sûr, il était dans le vol élégant ce que j’étais dans le meurtre : nous étions les champions absolus du travestiss­ement. Comment n’aurais-je pas aimé mon unique alter ego ?

Amour narcissiqu­e alors ? N’allons pas jusque-là. Je lui ai quand même toujours été supérieure. La meilleure preuve, c’est qu’il n’est plus, alors que je suis toujours là.

Les romans de Maurice Leblanc le rendent éternel.

Quel petit joueur ! Ce n’est pas moi qui me contentera­is d’une survie littéraire. Vous n’en aurez jamais fini avec moi.

Je suis sûre que le cinéma vous tenterait.

Si j’ai le premier rôle, je veux bien envisager votre propositio­n. Ce sera tout de même plus chic qu’une série télé.

RENCONTRE AVEC LA COMTESSE DE CAGLIOSTRO, CELLE QUI RÉVÉLA À LUPIN LE CARACTÈRE MALÉFIQUE DE LA PASSION

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