Lire

UNE ATTACHÉE DE PRESSE PAS COMME LES AUTRES

Plus ancienne enseigne du genre de France, la Librairie Nouvelle d’Orléans* cultive tradition et modernité.

- Louis-Henri de La Rochefouca­uld * www.guilaine-depis.com ; www.french-press-agent.com

Figure pittoresqu­e et controvers­ée du milieu littéraire,

Guilaine Depis* nous présente son métier d’attachée de presse indépendan­te. Portrait d’une iconoclast­e parfois sulfureuse qui aime les vieilles brasseries, son chat angora et Alain Juppé.

Avec les clients de Balustrade, l’agence de Guilaine Depis, ça ne rigole pas. Récemment, l’un d’eux a su trouver les mots pour qu’elle lui décroche des papiers : « Dites à vos amis journalist­es que j’ai les moyens de leur déclencher un contrôle fiscal s’ils ne font pas un article sur mon livre. » Aux Deux Magots où on l’avait interviewé­e fin octobre juste avant la fermeture des cafés (déjà…), on avait pris soin de se tenir à carreau. Cela fait douze ans que Guilaine est une vedette du quartier : « C’était mon rêve de petite fille de vivre à Saint-Germain-des-Prés. J’ai la chance incroyable d’y habiter. Tous les jours, j’invite des critiques littéraire­s à déjeuner chez Lipp ou au Petit SaintBenoî­t, qui était la cantine de Marguerite Duras et Dominique Noguez. Pour mes autres rendez-vous, c’est ici ou au Flore. » En janvier 2020, à la parution du Consenteme­nt, elle avait défrayé la chronique avec ses prises de position sur les réseaux sociaux, pas franchemen­t en faveur de Vanessa Springora. Des publicatio­ns sans filtre qui ont provoqué une (petite) polémique dans le milieu littéraire. « Écoeurée par la lâcheté et l’hypocrisie de l’affaire Matzneff » (ce sont ses mots), cette proche assumée de l’écrivain pédophile préfère toutefois ne plus s’étendre sur le sujet. Et s’attarder sur un chauve moins « scandaleux ».

LE PLUS GRAND DEPUIS PÉRICLÈS

Pour Guilaine, tout commence en effet quand, en seconde à Périgueux, elle craque pour « le plus grand homme politique depuis Périclès » : « Adolescent­e, nourrie par la lecture de René Rémond et celle de Jacqueline de Romilly, j’étais passionnée par le politique au sens étymologiq­ue, noble : l’organisati­on de la cité. Pendant les grèves de 1995, j’ai eu une vive admiration pour le courage d’Alain Juppé. Je lui ai alors écrit une trentaine de lettres ! Ce fut un déclic : j’ai voulu faire Sciences-Po pour travailler pour lui. Après mes études à l’IEP de Toulouse, je suis venue vivre à Paris. J’ai été assistante parlementa­ire d’Henri de Richemont, le sénateur UMP de la Charente. Le problème du Sénat, c’est que c’est une cage dorée : le restaurant est excellent, mais le travail très ennuyeux. Je n’allais pas faire du copier-coller toute ma vie… » Elle travaille ensuite aux Éditions des Femmes, auprès d’Antoinette Fouque, la cofondatri­ce du MLF dont elle loue « le féminisme joyeux, si opposé à la haine des féministes actuelles ». Forte de cette expérience, elle monte sa structure, Balustrade, dont elle s’occupe avec comme assistante une certaine Jasmine Catou. Sa chatte angora, devenue héroïne de romans policiers pour Christian de Molinier, dont Guilaine assume la promotion…

« Je ne suis pas vraiment comme les autres », affirme-t-elle. On la croit volontiers. Elle est membre de quatre ou cinq cercles wagnériens, a traversé deux fois la Mongolie à cheval, « comme Sylvain Tesson ». Si elle aime Tchekhov et Dostoïevsk­i,

Morand et Montherlan­t, elle considère aussi Jean-Paul Enthoven comme « un très grand écrivain ». Surtout, elle fait son métier à sa manière : « La bonne attachée de presse n’est pas celle qui a des tonnes de papiers pour une célébrité, mais celle qui obtient des miettes pour des inconnus publiés dans de petites maisons ou auto-édités, qui ne connaissen­t personne dans le milieu et sont socialemen­t inutiles pour les journalist­es. Mes résultats résultent à 80 % de mes amitiés, j’y fais donc attention : en vacances, j’adresse une centaine de cartes postales à des journalist­es. Quand je fais un service de presse, j’écris presque un roman à chacun à la main. L’un des nombreux avantages d’être indépendan­te, c’est la liberté de choisir mon style : quand je veux envoyer une enveloppe rose fuchsia à un critique, j’en ai le droit. Chez Gallimard, on ne me laisserait pas faire ! »

PAS UNE VENDEUSE D’ASPIRATEUR­S

On lui demande comment elle trouve ses clients. Est-ce qu’elle les démarche ?

« Comment voulez-vous que je démarche une prestation payante, je ne suis pas une vendeuse d’aspirateur­s ! Ma clientèle, c’est le bouche-à-oreille. Dès le départ, je suis franche, j’annonce qu’il n’y aura peut-être aucun article. J’aime les gens humbles. Quand je tombe sur des dingues qui veulent être best-sellers, avoir La Grande Librairie

ou rien, eh bien je leur réponds qu’ils n’auront rien et je raccroche. » Cette méthode porte ses fruits. Plusieurs de ses clients la reprennent pour un second ou un troisième livre, et la remercient :

« Par rapport aux gens qui vendent des pneus ou des tomates, j’ai beaucoup de chance : je travaille avec de l’humain, et j’ai d’excellente­s relations avec mes clients. Je reçois d’ailleurs beaucoup de cadeaux de leur part ! »

On pensait Guilaine plutôt à droite ; elle nous assure qu’il n’en est rien, que Balustrade travaille avec tout le spectre médiatique, de Mediapart à Valeurs actuelles.

Très remontée contre les confinemen­ts et autres restrictio­ns sanitaires, elle attend des jours meilleurs. Quand la vie aura repris, la Walkyrie chevaucher­a à nouveau les steppes mongoles. De notre côté, lui écrirons-nous de bons articles pour éviter tout risque de contrôle fiscal ?

C «’est pour ce genre de choses-là qu’on entre dans ce métier. Ensuite on n’en sort pas, ça n’est jamais fini. » Ces « choses-là », c’est l’histoire que portent les dix-neuf employés du lieu et celle qui le dirige depuis novembre 2010 : Véronique Boyer. Ce métier dont on ne sort pas, elle l’exerce dans une librairie qui est la plus ancienne encore en activité dans l’Hexagone. Une histoire qui débute en 1545, et qui illustre parfaiteme­nt le sort récent de ces enseignes sur le territoire. Fondée sous le règne de François Ier, c’était « une librairie d’éditeurs, comme ça se faisait à l’époque ».

Propriété de la famille fondatrice jusqu’en 1830, elle connut une dizaine de propriétai­res jusqu’en 2014. Entre-temps, elle déménagea, s’agrandit. Puis fut acquise par le groupe français Privat, lui-même racheté par le groupe allemand Bertelsman­n, cédé à son tour au fonds de pension texan Najafi Companies. Fin 2013, la liquidatio­n judiciaire du réseau Chapitre sonna le glas de la trentaine de librairies du groupe en France. Les éditions Albin Michel en acquirent alors cinq, à Paris, Limoges, Besançon, Lorient et Orléans. « On est alors redevenu une librairie d’éditeur, comme en 1545. »

UN FONDS VIVANT D’HISTOIRE ET D’ACTUALITÉ

Précisant que ce nouveau propriétai­re « n’a pas comme politique d’imposer sa marque », la directrice illustre sa mission ainsi : « Nos clients veulent pouvoir trouver des ouvrages qui ont dix ans, mais aussi de la nouveauté. Ils attendent que nous utilisions notre intelligen­ce pour constituer un fonds vivant. » Concrèteme­nt, les achats et les nouveautés sont gérés par une seule personne. « Une acheteuse, une seule, qui achète les différents offices de parutions. En étroite collaborat­ion avec les libraires, qui décident de ce qu’ils mettent en avant dans l’espace dont ils sont responsabl­es : jeunesse, littératur­e de genres, essais, etc. Mais avoir une seule responsabl­e des achats, cela resserre les liens avec les représenta­nts des maisons d’édition, avec de vraies discussion­s, on travaille mieux. »

Un « mieux » qui permit, par exemple, de ne pas être à court d’exemplaire­s de L’Anomalie, prix Goncourt 2020, un succès tombé du ciel après une année marquée par la crise sanitaire. « Rien qu’en décembre on en a vendu 539 exemplaire­s. Depuis les fêtes, près de 150 en plus. On n’avait jamais vu ça. » Dans l’antre orléanais, un livre est considéré comme un succès lorsqu’il dépasse la centaine d’unités écoulées…

Véronique Boyer a détesté la période dite du « click and collect » (elle préfère utiliser « faire du comptoir », l’expression anglaise lui rappelant trop la période du fonds de pension texan…). Elle en a forcément retiré quelque enseigneme­nt. Elle a regardé différemme­nt ce qui était commandé et acheté : « Énormément de jeunes qui venaient acheter des essais très pointus », ou encore « tous ces jeunes hommes qui se tournaient vers des ouvrages sur les questions féministes, tel Sorcières de Mona Chollet ». Aussi, « avec une histoire qui remonte aussi loin, on a forcément envie que vive une telle librairie », conclut Véronique Boyer. Que le temps lui donne raison !

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France