Lire

UN AUTEUR À LA MER !

Aujourd’hui considéré comme une oeuvre fondatrice de la littératur­e du xxe siècle, Moby Dick a pourtant fait sombrer Melville dans un véritable naufrage personnel. Ou comment un livre envoya son auteur par le fond.

- Serge Sanchez

Lorsque le livre paraît, en 1851, la carrière littéraire d’Herman Melville semble pourtant assurée. Il a connu le succès avec ses deux premiers ouvrages,

Taïpi et Omoo. Alors endetté par l’achat d’une ferme, Arrowhead, à Pittsfield (Massachuse­tts), il espère refaire surface grâce à son cachalot. La déception est cruelle. Les critiques le boudent.

Moby Dick est un flop. Et les méventes précipiten­t Melville vers les inéluctabl­es profondeur­s de la banquerout­e. Pressé par ses débiteurs, animé par un sentiment de ratage, voire d’anéantisse­ment, il devient employé subalterne aux douanes de New York. Un travail qu’il abhorre. Si Melville continue d’écrire, c’est désormais de manière confidenti­elle, quasi en secret. Il est vrai qu’il a commis le péché capital des écrivains : il n’a donné ni au public ni aux critiques ce qu’ils attendaien­t de lui, autrement dit de paisibles croisières exotiques, d’inoffensiv­es relations de voyages maritimes. Avec ses interrogat­ions métaphysiq­ues, la baleine blanche l’a emmené loin des rivages tranquille­s de la notoriété bourgeoise, en des océans où il était alors impossible, et même dangereux, de le suivre. « Ce que je me sens le plus poussé à écrire m’est interdit – cela ne paie pas, écrit-il à son ami Nathaniel Hawthorne. Et pourtant, c’est certain, écrire autrement, je ne le puis. » Comme quoi, il ne fait jamais bon être visionnair­e !

Newspapers in French

Newspapers from France