LE PRIX DE TOUS LES DANGERS
Bien que couronné en 1958 par le Nobel de littérature, le grand écrivain soviétique Boris Pasternak fut l’objet de violentes attaques et finit sa vie misérablement.
Le chef-d’oeuvre de l’écrivain,
Le Docteur Jivago, lui valut à la fois le prix Nobel 1958 et une fin de vie tragique. Né en 1890 dans une famille juive extrêmement cultivée, Boris Pasternak fut d’abord poète et traducteur avant de devenir romancier. Comme tant d’autres, il tomba en disgrâce durant les années 1930. Il continua cependant d’écrire. En 1956, conscient de procéder à sa propre exécution, il fait parvenir le manuscrit du Docteur
Jivago à l’éditeur Feltrinelli, militant communiste éclairé, qui en fait une lecture enthousiaste et en publie une traduction italienne l’année suivante. Pasternak, cependant, avait envoyé d’autres manuscrits à divers correspondants européens, parmi lesquels Brice Parain, collaborateur influent de Gallimard. L’édition originale en français du Docteur
Jivago paraît en 1958 dans la collection « Du Monde entier ». Plus obscurément, la CIA fait imprimer et distribuer des centaines d’exemplaires du roman. En pleine guerre froide, l’annonce du prix Nobel attribué à Pasternak fait exploser la haine des autorités soviétiques. La décision de l’Académie suédoise est considérée comme une provocation de l’Occident, si ce n’est comme une agression orchestrée par les Américains. Désormais traité comme agent de l’étranger et anticommuniste, Pasternak se voit interdire tout retour dans son pays s’il se rend à Stockholm. Soumis à d’incessantes pressions, il finit par refuser le prix. Mais ce geste de soumission ne suffit pas à calmer les attaques.Expulsé de l’Union des écrivains, privé de droits d’auteur et désormais sans ressources, Pasternak est vilipendé et calomnié devant les Jeunesses communistes, à la grande joie de Khrouchtchev. Victime d’une immonde campagne de presse, constamment surveillé par le KGB, pris à partie et insulté jusque dans son jardin, il meurt deux ans plus tard. Le plus révoltant peut-être, c’est que Le Docteur Jivago n’est pas un livre à proprement parler engagé. À travers la vie d’un médecin, Pasternak y décrit la Russie durant une période qui va d’avant 1914 jusqu’au début des années 1920.
Il est vrai que ses personnages ne célèbrent pas la révolution.
Ils se construisent au gré des amours ou des accidents du destin. Il s’agit juste d’un roman.