ARTHUR RIMBAUD, LE TRAIT DE LA JEUNESSE
L’homme aux semelles de vent trahit, par son écriture, ses tempêtes intérieures.
L’écriture d’Arthur Rimbaud est remarquable par sa finesse et sa légèreté, la vivacité dans sa progression sur la ligne. Cela manifeste une sensibilité épidermique. Cette écriture rapide aux formes personnalisées et simplifiées (« pieds », ligne 3) traduit la précocité intellectuelle de son auteur. Arthur Rimbaud avait 16 ans lorsqu’il a écrit ce poème.
UN SENS CRITIQUE AIGUISÉ
Bien qu’il y ait de la douceur avec des courbes sur la ligne, donc une demande de tendresse, le sens critique est fortement aiguisé comme on le voit dans les tracés pointus et les prolongements agressifs à la fin des mots. Subtilité et violence se côtoient sur un mode fantasque. C’est tantôt de la provocation (le « n » final du titre), tantôt un raffinement incisif avec des pointes acérées (le « r » de « par », ligne 2). Poète et aventurier, Rimbaud ne s’est pas privé de critiquer âprement la bourgeoisie qu’il jugeait étriquée.
Bien que l’écriture de Rimbaud traduise une recherche de lucidité (par l’espacement entre les lignes, les coupures à l’intérieur des mots), elle présente de multiples paradoxes à l’image d’une personnalité qui connaît des tensions extrêmes, qui se cherche dans toutes les directions : dans le mental (l’agitation dans la zone supérieure des lettres en témoigne), dans le désir de reconnaissance sociale (majuscules au panache alourdi), dans le domaine physique et sensuel (les traits appuyés vers le bas). À ce dynamisme prêt à embrasser le monde s’opposent des phases de repli presque méditatif comme dans les « b » arrêtés dans leur mouvement. Ce contraste exprime un soudain repli sur soi qui rompt le rythme de la progression vers le futur (« blés » ligne 2, « baigner » ligne 4). C’est la marque d’un tourment intérieur et d’une contradiction profonde. Le tracé des barres des « t » est caractéristique d’un élan fulgurant et incontrôlable, animé de passion, de décisions inconsidérées (tracé disproportionné). Ceci alterne avec des coups de frein dans le geste graphique, une inhibition, une angoisse qui incite au repli (retour à gauche dans « sentirai » ligne 3, « Nature » ligne 8).
L’auteur du Bateau ivre a cherché l’inaccessible dans une course effrénée. L’écriture nous dit pourtant qu’il ne perd pas son fil conducteur malgré les discordances du graphisme. Rimbaud n’a-t-il pas recherché « l’hallucination volontaire » ? Le hachich et l’absinthe, la liaison extravagante avec Verlaine y ont contribué.
DÉCHAÎNEMENT DE PULSIONS
On peut penser que l’écriture du poème est appliquée pour être lisible. En revanche dans sa signature, fini l’application ! Le geste se lâche ! Exagération, violence, c’est un déchaînement de pulsions et de révolte, un déchirement intellectuel (l’agitation dans la zone supérieure) et une sexualité tourmentée (tracé fermé et noirci sous le nom). L’univers sombre de la signature fait écho au terrain dépressif présent dans l’écriture (toutes les fins de lignes tombent).
Rimbaud s’est débattu dans des souffrances qu’il a cherché à exorciser en brisant toute forme de limitation, qu’elle soit morale ou intellectuelle, y compris la contrainte grammaticale qui fait de lui un pionnier. Ceci était déjà présent dans son écriture d’adolescent. Il a produit son oeuvre en cinq ans seulement avant de changer de vie, commerce de parfum, de café, d’ivoire et trafic d’armes en Abyssinie.