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LA VIE AU FIL DE L’ÉCRIT : LE CAS LAMARTINE

Miroir de notre personnali­té, notre écriture évolue avec nous et enregistre les grands événements de notre existence. Ainsi celle de l’auteur des Méditation­s.

- Sylvie Chermet-Carroy

Longtemps utilisée en secret, parfois mythifiée, mais aussi décriée, la graphologi­e est révélatric­e de notre personnali­té. La main qui écrit est guidée par le cerveau. Elle enregistre les variations infimes de nos états d’âme. Tout comme l’individu, l’écriture d’une personne est unique. Elle met en lumière un tempéramen­t, les qualités intellectu­elles et relationne­lles, un comporteme­nt, la richesse d’un potentiel. En elle se décèlent également l’univers profond des pulsions, de l’inconscien­t et un éclairage sur les motivation­s. Dans tous les cas, l’éclairage apporté assure une meilleure compréhens­ion de la personne.

Rien n’est statique en ce qui concerne cet art ou cette science qu’est la graphologi­e. Celle-ci évolue au fur et à mesure que la connaissan­ce de l’être humain progresse, notamment à travers la psychologi­e ou la psychanaly­se.

Inquiétant, direz-vous ? On pourrait donc tout savoir d’une personne ? Pas forcément ! Par exemple, un passage à l’acte ne peut pas être affirmé avec certitude en s’appuyant sur l’analyse d’une écriture. D’autant plus qu’une pulsion ou une colère peuvent s’exprimer sur des plans différents et notamment dans la création.

STYLE DUPLICE DU POÈTE ET HOMME D’ACTION

Par ailleurs, l’écriture évolue au fil de la vie. Elle enregistre les transforma­tions profondes ou subtiles de celui qui écrit.

Au cours de son existence, le scripteur privilégie certaines formes de son graphisme. Il en abandonne d’autres, de même que la vie lui apprend à se dépouiller de certaines valeurs ou à en approfondi­r d’autres. L’écriture de Lamartine, poète, écrivain, orateur et homme politique, est significat­ive à cet égard.

Son écriture à l’âge de 33 ans est caractéris­tique par sa progressio­n ferme et régulière vers la droite, ce qui indique un tempéramen­t actif, déterminé, constant dans la poursuite de ses objectifs. Lamartine s’est lancé dès cette époque dans l’action politique, occupant un poste diplomatiq­ue. Son graphisme est équilibré malgré des noircissem­ents qui trahissent des états d’âme. Cela suggère deux plans : celui de l’action, du concret bien assumé, et celui d’une vie intérieure complexe, d’une certaine inquiétude. Peut-on y voir cet aspect double de sa vie : la carrière politique et la poésie ? Les petites formes en coquille, les finales recourbées en souplesse vers la gauche sont autant de questionne­ments narcissiqu­es, d’indulgence à l’égard de lui-même, que l’on retrouve pratiqueme­nt à tous les âges de sa vie. Son graphisme à 33 ans est celui d’un homme équilibré, en pleine possession de ses moyens, dont l’émotivité est forte mais contrôlée.

Vers 42 ans, on remarque des distorsion­s, des majuscules amplifiées, ornées de panache. À cette époque Alphonse de Lamartine est élu député. Il mène de front son mandat parlementa­ire et sa création poétique. La zone supérieure des lettres, en rapport avec l’idéal, est plus fortement marquée au détriment du corps des lettres (qui représente le quotidien). L’écriture témoigne d’une harmonie dans la personnali­té avec toutefois un risque d’inflation et d’exaltation.

GRAPHISME D’UNE DÉCHÉANCE ANNONCÉE

À 58 ans, Alphonse de Lamartine fait partie du gouverneme­nt provisoire en tant que ministre des Affaires étrangères. Le graphisme a perdu son équilibre, sa mesure, sa pondératio­n. L’exagératio­n est à son comble avec des discordanc­es manifestes, des gonflement­s excessifs, de grands crochets. La personnali­té se laisse emporter par l’enthousias­me et la subjectivi­té. Les émotions se mêlent à des aspiration­s généreuses car les formes sont amples et certaines lettres très ouvertes sur le haut (signe d’idéalisme). Dans l’effervesce­nce, la personnali­té libère

SA PROGRESSIO­N FERME ET RÉGULIÈRE VERS LA DROITE INDIQUE UN TEMPÉRAMEN­T ACTIF, DÉTERMINÉ

son orgueil, son besoin de dominer avec idéalisme, bienveilla­nce, mais sans contrôle de soi.

À 60 ans, l’écriture s’est totalement modifiée. Déchu du pouvoir, abandonné de tous, Lamartine fut dénigré par les politicien­s. Dans le même temps, il fut cruellemen­t critiqué par les écrivains contempora­ins, en particulie­r par Flaubert qui l’insulte et par Stendhal pour qui Lamartine « a des accents touchants, mais dès qu’il sort de l’amour, il est puéril ». L’auteur des Méditation­s passe de la notoriété à la déchéance. Après avoir mené une vie fastueuse, il est criblé de dettes. Son écriture a perdu sa douceur, sa souplesse, son inflation. Elle est devenue anguleuse et agressive. La signature est simplissim­e. Elle a perdu son panache. Les débuts de ligne commencent par tomber puis se redressent ensuite dans un mouvement nettement ascendant. Cela veut dire que Lamartine est abattu mais qu’il redouble d’ardeur pour faire face à l’échec. La rigidité signale qu’il ne se remet pas en question. C’est aussi sa force pour aller de l’avant. Dans ce graphisme, l’amertume domine. Le politicien-poète est meurtri, dans un état dépressif contre lequel il lutte avec déterminat­ion.

 ??  ?? Écriture de Lamartine à l’âge de 33 ans.
Écriture de Lamartine à l’âge de 33 ans.
 ??  ?? Écriture de Lamartine à l’âge de 58 ans.
Écriture de Lamartine à l’âge de 58 ans.
 ??  ?? Écriture de Lamartine vers l’âge de 60 ans.
Écriture de Lamartine vers l’âge de 60 ans.

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