LA VIE AU FIL DE L’ÉCRIT : LE CAS LAMARTINE
Miroir de notre personnalité, notre écriture évolue avec nous et enregistre les grands événements de notre existence. Ainsi celle de l’auteur des Méditations.
Longtemps utilisée en secret, parfois mythifiée, mais aussi décriée, la graphologie est révélatrice de notre personnalité. La main qui écrit est guidée par le cerveau. Elle enregistre les variations infimes de nos états d’âme. Tout comme l’individu, l’écriture d’une personne est unique. Elle met en lumière un tempérament, les qualités intellectuelles et relationnelles, un comportement, la richesse d’un potentiel. En elle se décèlent également l’univers profond des pulsions, de l’inconscient et un éclairage sur les motivations. Dans tous les cas, l’éclairage apporté assure une meilleure compréhension de la personne.
Rien n’est statique en ce qui concerne cet art ou cette science qu’est la graphologie. Celle-ci évolue au fur et à mesure que la connaissance de l’être humain progresse, notamment à travers la psychologie ou la psychanalyse.
Inquiétant, direz-vous ? On pourrait donc tout savoir d’une personne ? Pas forcément ! Par exemple, un passage à l’acte ne peut pas être affirmé avec certitude en s’appuyant sur l’analyse d’une écriture. D’autant plus qu’une pulsion ou une colère peuvent s’exprimer sur des plans différents et notamment dans la création.
STYLE DUPLICE DU POÈTE ET HOMME D’ACTION
Par ailleurs, l’écriture évolue au fil de la vie. Elle enregistre les transformations profondes ou subtiles de celui qui écrit.
Au cours de son existence, le scripteur privilégie certaines formes de son graphisme. Il en abandonne d’autres, de même que la vie lui apprend à se dépouiller de certaines valeurs ou à en approfondir d’autres. L’écriture de Lamartine, poète, écrivain, orateur et homme politique, est significative à cet égard.
Son écriture à l’âge de 33 ans est caractéristique par sa progression ferme et régulière vers la droite, ce qui indique un tempérament actif, déterminé, constant dans la poursuite de ses objectifs. Lamartine s’est lancé dès cette époque dans l’action politique, occupant un poste diplomatique. Son graphisme est équilibré malgré des noircissements qui trahissent des états d’âme. Cela suggère deux plans : celui de l’action, du concret bien assumé, et celui d’une vie intérieure complexe, d’une certaine inquiétude. Peut-on y voir cet aspect double de sa vie : la carrière politique et la poésie ? Les petites formes en coquille, les finales recourbées en souplesse vers la gauche sont autant de questionnements narcissiques, d’indulgence à l’égard de lui-même, que l’on retrouve pratiquement à tous les âges de sa vie. Son graphisme à 33 ans est celui d’un homme équilibré, en pleine possession de ses moyens, dont l’émotivité est forte mais contrôlée.
Vers 42 ans, on remarque des distorsions, des majuscules amplifiées, ornées de panache. À cette époque Alphonse de Lamartine est élu député. Il mène de front son mandat parlementaire et sa création poétique. La zone supérieure des lettres, en rapport avec l’idéal, est plus fortement marquée au détriment du corps des lettres (qui représente le quotidien). L’écriture témoigne d’une harmonie dans la personnalité avec toutefois un risque d’inflation et d’exaltation.
GRAPHISME D’UNE DÉCHÉANCE ANNONCÉE
À 58 ans, Alphonse de Lamartine fait partie du gouvernement provisoire en tant que ministre des Affaires étrangères. Le graphisme a perdu son équilibre, sa mesure, sa pondération. L’exagération est à son comble avec des discordances manifestes, des gonflements excessifs, de grands crochets. La personnalité se laisse emporter par l’enthousiasme et la subjectivité. Les émotions se mêlent à des aspirations généreuses car les formes sont amples et certaines lettres très ouvertes sur le haut (signe d’idéalisme). Dans l’effervescence, la personnalité libère
SA PROGRESSION FERME ET RÉGULIÈRE VERS LA DROITE INDIQUE UN TEMPÉRAMENT ACTIF, DÉTERMINÉ
son orgueil, son besoin de dominer avec idéalisme, bienveillance, mais sans contrôle de soi.
À 60 ans, l’écriture s’est totalement modifiée. Déchu du pouvoir, abandonné de tous, Lamartine fut dénigré par les politiciens. Dans le même temps, il fut cruellement critiqué par les écrivains contemporains, en particulier par Flaubert qui l’insulte et par Stendhal pour qui Lamartine « a des accents touchants, mais dès qu’il sort de l’amour, il est puéril ». L’auteur des Méditations passe de la notoriété à la déchéance. Après avoir mené une vie fastueuse, il est criblé de dettes. Son écriture a perdu sa douceur, sa souplesse, son inflation. Elle est devenue anguleuse et agressive. La signature est simplissime. Elle a perdu son panache. Les débuts de ligne commencent par tomber puis se redressent ensuite dans un mouvement nettement ascendant. Cela veut dire que Lamartine est abattu mais qu’il redouble d’ardeur pour faire face à l’échec. La rigidité signale qu’il ne se remet pas en question. C’est aussi sa force pour aller de l’avant. Dans ce graphisme, l’amertume domine. Le politicien-poète est meurtri, dans un état dépressif contre lequel il lutte avec détermination.