QUE CACHENT NOS SIGNATURES ?
Nos paraphes sont des éléments essentiels dans l’analyse de notre écriture. À la fois marques de notre moi profond et acte social, ils nous représentent autant qu’ils nous trahissent.
Signer est aujourd’hui un acte fréquent, presque ordinaire. Il n’en a pas été toujours ainsi. Dans le passé, on affirmait son identité par d’autres moyens. Les sceaux, emblèmes, ou encore les armoiries traduisaient la marque d’une appartenance ou d’un nom. À l’époque mérovingienne, les paraphes épousaient des formes d’une complexité extraordinaire. Sophistiquées et esthétiques, elles étaient cryptées afin de déjouer les tentatives des faussaires.
La signature est un acte social. Signer, c’est s’engager. Le tracé, sa forme, son emplacement sont autant d’éléments qui renseignent sur l’individu dans sa relation à la société. Elle se situe au point de rencontre de la personnalité intime et de l’engagement dans la vie. Dans certains pays, la signature doit être obligatoirement lisible. En France, on signe comme on veut ! La lisibilité peut être une façon de se montrer, ce qui est fréquent pour les signatures d’artistes ou de politiciens. Elle peut aussi être un masque qui protège. La dimension révèle un tempérament.
L’ampleur traduit l’extraversion, l’ambition, la conscience de soi. La petitesse exprime la modestie ou le manque de confiance. On tiendra compte du rapport entre l’écriture et la signature (en harmonie ou en contradiction). L’emplacement par rapport au texte met en lumière l’attirance vers le futur lorsqu’elle est à droite ou l’attache au passé, la recherche de sécurité quand elle se situe à gauche. Au milieu, on décèle une certaine prudence.
« JE M’AFFIRME, UN POINT C’EST TOUT »
Montante, la signature manifeste de l’ambition, de l’ardeur. Descendante, elle amène la question d’un éventuel état dépressif. La qualité du trait, sa pression forte ou légère est à l’image de l’énergie. L’épaisseur peut révéler la sensualité. Les irrégularités de pression sont autant de nuances ou d’hésitations dans la façon d’être. La forme du tracé indique par sa rondeur une dominante affective que l’on retrouvera dans le comportement social. Un trait anguleux exprime la combativité.
Lorsque la signature est partiellement lisible, les lettres qui ont échappé à la simplification du geste sont, dans leur symbolisme, des valeurs privilégiées par le scripteur, que celles-ci soient concrètes ou philosophiques. Le soulignement de la signature indique un désir d’affirmation voire de l’autorité s’il est ferme. Un point après la signature met un arrêt dans le mouvement. C’est à fois la marque du doute et de l’inquiétude même si l’on signale d’une certaine façon « je m’affirme, un point c’est tout ».
Tous les éléments d’analyse sont en corrélation. Aucun signe ne peut à lui seul produire une conclusion définitive. La signature évolue plus ou moins au fil de la vie. Et, grand paradoxe, elle est un acte créatif (chacun l’invente) et, pourtant, il faut la reproduire toujours à l’identique. Au cours des grands changements de vie, il arrive que le besoin de changer de signature se fasse sentir. C’est la personnalité qui a évolué autant dans l’intime que dans la vie extérieure.
À la clarté relative du patronyme, on peut opposer la noirceur du paraphe. Cette signature comporte deux univers, le haut et le bas, la lumière et le monde souterrain, ce qui est obscur et ce qui est visible. On note un contraste entre la finesse qui apparaît dans le nom et la violence du mouvement plongeant sous la ligne. Deux boucles qui tracent un « huit » font le lien entre ces deux extrêmes. Un autre « huit » se niche dans le « a », qui symbolise l’amour de la vie et se dresse vers le haut, marquant une quête vers l’idéal ou le divin. Le huit est un tracé dans lequel on tourne en rond. Pour cet être divisé, surnommé « le romancier satanique », il y a autant d’angoisse dans la quête du divin que dans l’expérience des pulsions et de la sexualité.
Cet écrivain sulfureux a fait scandale avec Un prêtre marié ou Les Diaboliques, oeuvre saisie par le parquet de Paris en 1874. Lui-même se disait « affamé de choses religieuses, comme un homme qui n’a pas mangé depuis longtemps ». La division qui apparaît dans sa signature est à la source de sa création.
Dans la signature de Jean Giono, le soulignement met en relief le patronyme, celui de la célébrité. En laissant pour compte le prénom qui n’est pas souligné, il affirme une séparation entre le passé lié à l’enfance (le prénom) et la vie sociale (le nom souligné lié à la notoriété). La vie personnelle est préservée sans être amoindrie pour autant car le prénom est plus gros que le patronyme.
L’épaisseur du trait révèle une sensualité omniprésente. L’équilibre entre la rondeur et les formes pointues met en valeur une forte demande affective, de la générosité assortie d’une certaine autorité.
La signature descendante révèle un profond découragement et alerte sur un terrain dépressif. La noirceur et les incertitudes du trait signalent une certaine fébrilité, de la nervosité voire une angoisse profonde. « Il faut souffrir le martyre avant de pouvoir écrire sérieusement », disait-il. Sa vie lui a occasionné plus de trente accidents (bateau, voiture, chasse au gros gibier). Le nom de l’écrivain est écrit puis transpercé par un trait. Il est comme embroché, ce qui est la marque d’un comportement suicidaire, une façon souvent inconsciente d’aller à la rencontre d’événements destructeurs. Ce fut le cas pour l’auteur des Neiges du Kilimandjaro, qui s’est suicidé.
Dans l’enfance, nous avons tous appris à écrire d’une certaine façon. Pourtant, à partir du modèle collectif, chacun transforme très tôt cette norme qui est imposée. C’est justement cette personnalisation du graphisme qui intéresse le graphologue et qui le renseigne sur l’individualité de celui qui écrit. Toutefois, reconnaissons que certaines écritures nous interpellent plus que d’autres ! En voici trois exemples. CHARLES PÉGUY
L’écriture de Charles Péguy, poète, écrivain, essayiste, est caractéristique par sa raideur, la lenteur, l’application systématique. Le geste est contenu à l’extrême et révèle une personnalité très rigoureuse qui s’appuie sur des principes et ne laisse pas de place à la fantaisie, encore moins à l’improvisation. La maîtrise de soi et l’exigence sont vécues sans faille comme un modèle de perfection à atteindre. Les valeurs morales et le sens des responsabilités sont érigés en philosophie. Les barres de « t » bien nettes et obliques expriment une révolte qui est toutefois bien canalisée. Elles sont puissantes et retenues, à l’image d’une combativité bien présente mais réfléchie. Poète engagé, dreyfusard, patriote, Charles Péguy a été militant. Il a lutté contre l’injustice et l’antisémitisme. Il a mis en pratique ses idées : « Ne pas prendre certaines positions, ne pas occuper certaines situations, c’est infailliblement en prendre et en occuper d’autres. »
Un autre point caractéristique réside dans l’espacement des lignes, qui est inhabituel. D’une façon générale, les grands espaces entre les lignes sont la marque de l’indépendance ou d’un besoin de solitude. L’importance du blanc dans la page révèle l’importance de la vie intérieure comparable à un univers propre à la méditation. Charles Péguy a cherché l’équilibre entre la politique et la vie spirituelle. Toutefois, l’aspect relationnel semble difficile car tout est rigide malgré la douceur (la rondeur des lettres) qui demande à percer mais demeure contenue. Les noirceurs dans les lettres expriment une inquiétude qui a pu être source de transformation au fil de sa vie. « Une grande philosophie n’est pas celle qui installe une vérité définitive, c’est celle qui introduit une inquiétude », affirmait-il.
EMILY BRONTË
Une intelligence brillante ressort de ce graphisme surprenant de modernité
(qui date cependant du xixe siècle). Le trait est boueux, ce qui traduit des angoisses profondes. Pourtant, on note une sobriété extrême, aucun geste inutile et finalement une certaine clarté des lettres malgré leur empâtement. C’est le contraste absolu de l’ombre et de la lumière, de la vie et de la mort, de l’élévation vers le sublime et de l’horreur ou du macabre. Telle fut l’enfance d’Emily Brontë, marquée par la mort dès l’âge de 3 ans, celle de sa mère, tout d’abord, puis celle de deux soeurs aînées.
Le manque de liaison entre les lettres, associé à des formes anguleuses et raides, indique un tempérament plutôt solitaire et un caractère trempé. C’est à l’image d’une personnalité sans concession.
« Plus le sort semble injuste, disait-elle,
plus mon esprit bondit. » L’écriture, qui a une mauvaise tenue sur la ligne tout en ayant une forte affirmation, soulève la question du jeu entre la vie et la mort, les pulsions et la création. Très jeune, la fratrie dont Emily, semble-t-il, « tirait les ficelles » s’adonnait à des jeux imaginaires où les soldats de plomb composaient un scénario parfois sanguinaire.
Les Hauts de Hurlevent sont le couronnement d’une quête pour la survie dans un contexte où le désespoir a été sublimé.
ANTOINE DE SAINT-EXUPÉRY
L’écriture de Saint-Exupéry est étonnante par sa légèreté, sa précision, sa simplification extrême et son originalité. Elle sort du commun tout en étant harmonieuse, à l’image d’une personnalité raffinée, indépendante, qui sort des sentiers battus. Perçu comme un être double, à la fois aviateur, reporter, ami de Jean Mermoz à l’aéropostale, et par ailleurs poète, rêveur, écrivain, Saint-Exupéry n’épouse aucun conformisme. Le graphisme est remarquable par l’importance du blanc dans le texte. Les lettres se détachent et semblent flotter dans l’espace. Dans la page blanche, le non-écrit est comparable au silence, à la vie intérieure. Saint-Exupéry a souvent célébré le silence notamment dans Citadelle : « Je m’achemine vers le silence des questions et ainsi la béatitude. »
On observe aussi des « m » étranges, faits de trois petits bâtons verticaux. Et c’est tout ! Pas de liaisons à l’intérieur de la lettre, alors qu’il en fait par ailleurs. Dans la symbolique des lettres dont le développement sort du cadre de cette étude, la lettre « m » renseigne sur la relation à la mort. Ces petits traits laissent un passage entre le bas et le haut, symboliquement la terre et le ciel, la matière et l’esprit. C’est même un peu comme un trait d’union entre les deux. Saint-Exupéry l’a exprimé passionnément entre les prises de risques sur le terrain et la poésie. Le graphisme dépouillé, les « m » comme désincarnés, la vie intérieure omniprésente dans l’écriture, qui opère un passage incessant entre le concret et le plan spirituel, sont autant d’éléments qui révèlent un détachement par rapport à la mort. Saint-Exupéry a failli mourir plusieurs fois dans le désert et s’il a accompli des vols de reconnaissance, s’il a agi comme pilote d’essai, l’écriture nous dit que ce n’était pas par défi, par provocation vis-à-vis de la mort, non plus par inconscience, mais plutôt par acceptation et détachement, par une dimension spirituelle authentique qui lui donnait ce sentiment d’être de partout et de nulle part. La douceur et la rondeur de l’écriture rappellent à quel point l’amitié a compté pour lui. Il était, selon le capitaine Courtin, « un être rare, un être exceptionnel et précieux, un prince débonnaire et distrait, égaré parmi nous ».