L’amour à la mer ?
L’auteur choisit dans son nouveau roman de réhabiliter le sentiment amoureux à travers l’histoire d’un couple de cinquantenaires, qui nous redonnent l’envie d’aimer !
Q «u’est-ce qui pourrait sauver l’amour ? » s’égosillait, dans les années 1980, le chanteur Daniel Balavoine, pressentant sans doute que la question cesserait bientôt d’être rhétorique pour devenir un enjeu crucial pour chacun comme pour la multitude.
Dans La beauté dure toujours, Alexis Jenni constate, comme on constate un sinistre, notre perte de foi dans le sentiment amoureux, et lui oppose Noé et Félice, deux cinquantenaires dont le couple persiste depuis « 10-12 ans » et qui ne se « calment » jamais. Deux mystiques de l’amour ; lui, dessinateur, a trouvé en Félice une source inépuisable de beauté, et sans doute l’absolu qu’il a poursuivi toute sa vie à coups de crayons ; elle, avocate, a été le jouet mécanique d’un mari radiologue, expert glacé et cependant compétent dans la manipulation des organes sexuels, et a trouvé en Noé l’issue à sa prison. Certes, on savait Alexis Jenni doué pour encapsuler les élans amoureux dans un lyrisme érudit : L’Art français de la guerre, le roman qui le fit connaître, avait déjà beaucoup à dire sur le sujet – et sur le dessin. Il portait aussi la même écriture, qui aligne dans un même trait descriptions, narration, et les réflexions puisque l’amour, comme la guerre, engage la vue, la voix et la pensée…
LE MIRACLE OPÈRE VITE
Le roman expose le problème à la faveur d’un dîner littéraire joliment croqué : nous ne croyons plus en l’amour – le vrai, le grand, celui qui remplit une vie. En tristes matérialistes, nous y voyons un phénomène physiologique d’une durée de trois ans maximum, ou une illusion romanesque et nous prenons le couple comme une prison… En fait, nous avons juste oublié ce que l’amour était. Pour nous rendre la mémoire, Alexis Jenni convoque, en plus de ses amoureux qui s’expriment tour à tour, un de leurs amis, narrateur anonyme rangé des amours. Cela lui permet, littéralement, de parler d’amour sur tous les tons. Le miracle opère vite : il suffit d’avoir approché un tant soit peu ce que vivent Félice et Noé pour se convaincre que bien sûr, l’amour existe, et que c’est cela – non pas l’illusion chevaleresque et désincorporée démontée par Albert Cohen dans Belle du Seigneur, mais cette « fiction vraie, qui se joue dans l’espace réel où évoluent nos corps ». Autrement dit, l’amour, c’est quand nos vies se transforment non pas en roman de gare, mais en littérature…