SAUVAGEMENT INSTRUCTIF
Sortes de Planète Terre (série documentaire au succès mondial) couchés sur papier, de nombreux ouvrages de vulgarisation plongent au coeur de la vie des insectes, plantes, animaux… et embrassent la réalité du vivant avec une vision inédite, alertés par l’imminence de la disparition de milliers d’espèces.
Pour Carl Safina, « c’est comme si nous nous réveillions à l’instant d’un long voyage dans l’espace et parcourions des yeux une planète inconnue et intéressante ». Parce que notre relation avec la nature ne peut plus se réduire à un comportement gonflé d’orgueil et d’avidité, scientifiques et zoologistes prennent la plume pour décrire ce « monde non humain » avec vivacité, humour et ironie, sans jamais se départir de pédagogie, et nous remettent ainsi à notre place, c’est-à-dire, aux côtés des animaux sauvages, ce qui implique, en même temps qu’un décentrement du regard, un bouleversement total des concepts avec lesquels nous les analysions.
Dans Les Portes de la perception animale, Benoît Grison évoque les sens que nous regroupons communément dans le toucher, l’ouïe, l’odorat, la vue et le goût, pour mieux dynamiter ces catégories. Où l’on apprend que la reine exerce sur les abeilles un véritable « esclavage physiologique » en diffusant des phéromones qui entravent leur développement ovarien et assurent sa seule capacité reproductive ; ou que les éléphants communiquent par infrasons à des dizaines de kilomètres.
L’IDÉE D’UNE CULTURE ANIMALE
Les ouvrages de Carl Safina (désigné par le New York Post comme le « Thoreau du xxie siècle ») et de Lucy Cooke, biologiste anglaise ayant fondé la Sloth Appreciation Society (une fondation pour défendre les paresseux), prennent la forme de récits véritablement immersifs avec un style personnel. Dans À l’école des animaux, le premier défend l’idée d’une culture animale : « Les cétacés ont une culture de cétacés. Les éléphants ont une culture d’éléphants. La question n’est pas de savoir s’ils ont le même genre de culture que nous. La question est la suivante : quelles sont les cultures de différentes espèces ? S’y ajoutent des questions plus profondes : avec qui sommes-nous ici ? Quels sont les modes de vie sur Terre ? Et que perdons-nous, concrètement, en rayant la vie sauvage de la carte ? » Aux côtés de chercheurs et de chercheuses passionnés, Carl Safina embarque en mer des Caraïbes avec les cachalots, s’enfonce dans la forêt péruvienne pour observer les aras – de splendides perroquets –, et dans la forêt de Budongo, en Ouganda, pour suivre des groupes de chimpanzés. De quoi lui inspirer des réflexions philosophiques sur l’usage de notions attribuées à l’humain telles que la personnalité, la séduction, la musique, le lien filial, la guerre, l’empathie, le deuil, le chagrin, le sourire, la réconciliation…
Lucy Cooke, quant à elle, attaque avec un humour décapant nos pires préjugés envers les bêtes et au premier chef les paresseux, taxés d’apathie et dont la survie au sein de l’évolution est souvent établie comme un mystère : « Nous sommes prompts à condamner les créatures qui ne se conforment pas à notre code moral, tels les paresseux indolents, les hyènes cruelles et les vautours dégoûtants. Le malaise que provoque chez nous la vérité sur ces animaux en dit long sur nos espoirs comme sur nos peurs. » Le rapport que nous entretenons avec eux en dit finalement beaucoup sur nous, et réclame une refonte profonde de notre sémantique, apte à exprimer notre existence conjointe.