LA FIN D’UN EMPIRE
Deux livres rendent enfin justice au peuple Lakota, racontant la grande épopée de ceux qui resteront à jamais, dans notre imaginaire, les « Sioux ».
Pendant que certains ne songent qu’à déboulonner les statues et à jeter au feu les livres qui dérangent, d’autres préfèrent écrire les pages qui soignent. Commençons donc par la fin, puisque ce n’est peut-être que le début : le 29 décembre 1890, les soldats américains massacrent pas moins de 30 hommes, femmes et enfants de ce qu’il reste du peuple Lakota, couramment désigné comme les « Sioux », déjà privé, quelques jours auparavant, de ses grands chefs, Sitting Bull et Big Foot. Le récit de cette affaire n’appartient pas seulement au passé, il détermine encore l’avenir. Mais comment le raconter ? Aujourd’hui, cette question devient : qui le raconte ? Et comment faire justice à toutes les voix qui le racontent ?
UNE EXTRAORDINAIRE ÉPOPÉE
Parmi les plus intéressantes, celle de l’Américain George E. Hyde, qui s’est posé la même question dès 1936. Dialoguant avec ceux qui ont connu Buffalo Bill et quelques autres, il a pu réaliser une synthèse magistrale – devenue l’un des classiques de l’historiographie nord-américaine. En plus des archives des colons, l’auteur exploite les « chroniques d’hiver » tenues par les Sioux, aidemémoire composés de pictogrammes colorés peints sur une peau de bison, où chaque dessin représente l’événement le plus caractéristique d’une année particulière ou, selon les Sioux, d’un « hiver ». Sur plus de mille pages, Hyde déploie l’extraordinaire épopée de l’un des grands « empires » d’Amérique du Nord – un empire mobile, évolutif, « cinétique », comme l’appelle Laurent Olivier, du fait de l’usage du cheval. La lecture de Hyde est époustouflante ; à la place d’une unité lisse et statique de peuples que le récit des vainqueurs a placés à l’écart de l’Histoire, les Sioux apparaissent comme une culture engagée dans des liens contradictoires avec l’extérieur, travaillée par des questions et des tensions internes, passant par des migrations qui font voyager ce peuple à travers un immense territoire, d’où la différenciation de trois grands groupes (les Dakotas à l’est, les Nakotas au centre, les Lakotas à l’ouest). Pourtant, ces localisations ne doivent pas tromper. Entre ennemis et alliés, leurs territoires se signalent par une grande plasticité dont les causes sont complexes : guerres, chasse, commerce…
UN PEUPLE AU BORD DU DÉSESPOIR
C’est à l’histoire de ce grand peuple que le massacre de Wounded Knee devait mettre fin. Mais en un sens, il était déjà trop tard : l’enquête de Laurent Olivier sur cet événement démontre que la séquence qui a abouti au drame conjuguait trop de facteurs conjoints : les lois sur la propriété terrienne, la sape des structures traditionnelles par l’éducation, les trains faisant fuir les bisons et les catastrophes naturelles (maladies, sécheresses) avaient mis les Lakotas au bord du désespoir. Ils s’y trouvent encore, mais cela ne les met toujours pas à la merci des historiens blancs. Ils ont encore la force de leur répondre : « Nous ne sommes pas perdus et nous n’avons pas besoin d’être sauvés. »