« Rien n’est inné, tout s’acquiert »
Ancien professeur de philosophie et animateur d’ateliers d’écriture, David Meulemans dirige aujourd’hui les éditions Aux forges de Vulcain. Ce fan de sciencefiction vient de signer un manuel destiné à tous les écrivains en herbe, Écrire son premier roman en dix
minutes par jour. Il revient sur sa méthode, imposant discipline et goût de la lecture.
Le titre de votre manuel, Écrire son premier roman en dix minutes par jour, est-il une plaisanterie ? Une provocation ?
David Meulemans. C’est une plaisanterie, une provocation… mêlées d’un peu de vérité. Plaisanterie car, si l’on écrit seulement dix minutes par jour, l’écriture d’un roman peut prendre plusieurs années, voire plusieurs décennies. Provocation car je suis un peu las des personnes qui s’interdisent d’écrire car leur imaginaire repose sur diverses illusions historiquement construites : l’inspiration, le génie, le sacrifice, la douleur. Enfin, il y a un peu de vérité car c’est un fait psychologique établi que, pour acquérir une habitude, il faut commencer petit, afin de pouvoir pratiquer quotidiennement le talent qu’on veut acquérir.
Écrire, est-ce davantage une affaire de compétence, de travail ou de talent ?
D.M. Je suis empiriste : rien n’est inné, tout s’acquiert. Donc, le travail permet d’acquérir des compétences et, parfois, un vrai talent. Mais souvent, le travail n’est pas visible. Ainsi, certaines personnes, dans leur manière de lire, de parler, d’écouter, d’écrire une lettre, s’entraînent à l’écriture, et acquièrent un vrai talent qui apparaît quand elles se lancent vraiment dans la rédaction d’une fiction. Ce qui peut donner l’impression de quelque chose d’inné – mais qui est sans doute plutôt le résultat d’un pli pris dès l’enfance. Et pour celles et ceux qui n’auraient pas ce pli, il n’est jamais trop tard pour commencer le travail, de manière plus consciente et méthodique.
En quoi la lecture « intensive » est-elle, selon vous, déterminante pour écrire ?
D.M. Je n’ai pas, pour l’instant, rencontré d’écrivain qui ne soit pas un lecteur. Il n’est pas nécessaire d’avoir une large culture générale, ou d’avoir lu tel ou tel classique, pour écrire. Mais avoir une culture de lecteur, une passion personnelle de la lecture, quitte à ce qu’elle soit très spécialisée, me semble fondamental. Souvent, les projets d’écriture qui émanent de personnes qui ne sont pas des lecteurs ne répondent pas à un besoin d’écriture, mais à un besoin d’expression de soi – un projet qui pourrait être satisfait par d’autres moyens plus efficaces : parler à sa famille, à ses proches.
En tant qu’éditeur, avez-vous publié des titres relevant de cette méthode ?
D.M. La plupart des écrivains que j’ai publiés ont une pratique régulière de l’écriture même si certains, parfois, entre deux projets d’écriture, ont besoin de quelques mois de repos, qui leur permettent de repenser à neuf ce qu’ils ont à écrire.
D’ailleurs, quel est le critère fondamental qui fait que, dans la pile des manuscrits, vous vous décidiez à lire dans le détail l’un d’entre eux ?
D.M. La romancière Ursula K. Le Guin disait qu’une romancière ou un romancier ne doit jamais oublier que la fonction d’un mot est de donner envie de lire le mot d’après, que la fonction d’une phrase est de préparer la phrase qui suit. Donc, même si votre texte a une histoire forte, cela sera inutile si la phrase est mal tournée. En conséquence, je lis en entier les manuscrits qui, ligne après ligne, savent faire fiction, phrase après phrase.
Enfin, votre manuel – qui, bien sûr, n’est pas un roman ! – est-il le fruit de ces recettes ?
D.M. Il professe la régularité comme vertu suprême, mais il a été écrit de manière intensive, sur une période très courte – même si, ces idées, je les rumine depuis vingt ans… Comme chacun, je professe les vertus que j’aimerais posséder, mais que je ne possède pas encore…