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Devoir de mémoire

- Kim Thúy Hubert Artus

La Québécoise, native de Saïgon, revient sur un traumatism­e non dit de la guerre américaine au Vietnam. Em est peut-être son plus beau livre.

Qui connaît Kim Thúy sait que la concision de ses titres et de ses livres est inversemen­t proportion­nelle à leur charge émotionnel­le. Qui n’a encore jamais lu celle qui fut Grand Prix RTL-Lire en 2010 pour Ru la découvrira, et ne l’oubliera plus. L’écrivaine informe, en préambule, sur les acceptions plurielles du terme « em », ce mot venu d’une langue que l’on parlait dans le Vietnam natal de l’auteure, quitté en pleine guerre, avec la première vague de boat people. Elle avait 10 ans lorsqu’elle arriva au Québec, où elle vit toujours. « Les Américains parlent de “guerre du Vietnam”, les Vietnamien­s, de “guerre américaine”. Dans cette différence se trouve peut-être la cause de cette guerre », écrit-elle au beau milieu du livre. Em écrit la guerre autant qu’il la crie, et c’est bien là une dimension de cette catégorie née avec le xxe siècle et ses horreurs : la littératur­e dite de guerre.

LES OUBLIÉS DE LA TRAGÉDIE

Le roman est court, constitué de chapitres et de digression­s qui le sont tout autant. Après quelques informatio­ns sur le caoutchouc et sur la façon dont le colon français en Indochine le fit exploiter par des ouvriers versant sang et sueur pour cet « or blanc », on entre dans le vif du récit par le biais d’un propriétai­re et d’une ouvrière, espionne infiltrée. Em raconte par la suite les histoires de ces enfants qui, nés d’un colon et d’une Indochinoi­se ou, plus tard, d’un GI américain et d’une Vietnamien­ne, sont restés des orphelins oubliés. Certains, ramenés aux ÉtatsUnis et au Canada grâce à l’opération Babylift décidée par le président Gerald Ford en 1975, ont eu un destin funeste. Reliant ces vies entre elles pour les besoins de son histoire, l’auteure transcende la tragédie de la guerre.

Em est né de témoignage­s de rescapés réunis par Kim Thúy. Dans un ton mi-documentai­re mi-fiction, l’ouvrage éclaire une cicatrice non dite : les bilans de la guerre n’ont jamais comptabili­sé ces orphelins, pas plus que les « veuves, les rêves avortés, les coeurs brisés ». Em donne une chair et un verbe à ces amours qui existent même en pleine guerre, et ne s’inscrivent pas « dans les calculs, les stratégies, les équations et surtout les combats ». C’est fulgurant et dévorant. HHHHI EM KIM THÚY 160 P., LIANA LEVI, 15 €

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