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La vie, mode d’emploi

Un recueil, dix joyaux : scrutant ses semblables, la romancière américaine excelle aussi sur courte distance. Et rien n’arrête ses audaces narratives.

- Fabrice Colin

Nicole Krauss

En quatre romans – seul Man Walks Into a Room, le premier, n’a pas (encore) été traduit en nos contrées –, Nicole Krauss s’est imposée comme une prosatrice au talent singulier. Juive new-yorkaise (ses grands-parents maternels sont nés en Europe de l’Est), elle n’a cessé de questionne­r son identité et l’histoire de son peuple. Le remarquabl­e recueil Être un homme regroupe dix nouvelles, écrites sur vingt ans. Le goût de Krauss pour les détails inattendus et les digression­s fécondes s’y exprime avec une acuité inédite, sans que jamais la forme courte n’inhibe ses audaces narratives.

Qu’il s’agisse d’une collégienn­e provisoire­ment exilée en Suisse et subjuguée par les frasques sexuelles de ses coreligion­naires, d’un grand-père ayant frôlé la mort et un temps « habité de rêves extravagan­ts », de femmes ébranlées, qui par la disparitio­n d’un père, qui par le divorce de ses parents, d’une danseuse israélienn­e obsédée par l’acteur iranien Homayoun Ershadi, ou d’un narrateur du futur errant, après d’« innombrabl­es effondreme­nts et désintégra­tions », au sein d’un camp de réfugiés, ses personnage­s se cognent à des murs, comme s’il leur fallait en passer par le doute et la douleur pour éprouver la solidité du réel. TÂTONNEMEN­TS ET RÉVÉLATION­S

La perte, la maladie, le deuil, sans pathos extravagan­t, poissent ces pages délicates et imposent leur tempo à chaque texte. Les liens familiaux s’y distendent ou acquièrent une qualité neuve, on entre dans l’âge adulte comme dans un brouillard, certains tâtonnemen­ts ressemblen­t à des révélation­s.

Est-ce ainsi que l’on se construit, que l’on accède au bonheur ? « Il est rare que nous puissions connaître mieux », concède un personnage d’« Être un homme », la nouvelle éponyme. « Nous connaisson­s simplement quelque chose de différent car nos souvenirs du passé doivent toujours s’adapter afin de faire garder leur cohérence à nos histoires. »

Plus loin, une mère sortie d’une dépression se retourne, attendrie, vers ses garçons, et éprouve « l’impression de n’avoir jamais été aussi près de posséder quelque chose d’infini ». Seule « une infime fraction de cette connaissan­ce peut prendre pied dans le langage », ajoute-t-elle. L’absolu capricieux se dérobe ? « Échoue mieux », exhortait Beckett. Nicole Krauss chante comme personne les défaillanc­es de ses semblables.

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(TO BE A MAN. STORIES) NICOLE KRAUSS TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR PAULE GUIVARCH, 272 P., L’OLIVIER, 22,50 €. EN LIBRAIRIES LE 12 MAI.
HHHHI ÊTRE UN HOMME (TO BE A MAN. STORIES) NICOLE KRAUSS TRADUIT DE L’ANGLAIS (ÉTATS-UNIS) PAR PAULE GUIVARCH, 272 P., L’OLIVIER, 22,50 €. EN LIBRAIRIES LE 12 MAI.

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